La tarte à la crème : nouvelle arme politique des citoyens ?
“J’arrêterai de faire de la politique quand les politiciens arrêteront de nous faire rire”, répondait Coluche lorsqu’on lui demandait pourquoi il s’engageait. Le collectif Ibiza semble bien partager la réflexion. Depuis janvier 2022, ses militants tournent l’actualité politique en dérision, pour la dénoncer. Jean-Michel Blanquer, Patrick Pouyanné, Marine Le Pen et même les Golfs ont été ciblés ces 9 derniers mois avec une arme : l’humour.
“Moi je fais comme vous, une pipe contre un service”, lançait sarcastiquement Hugo en serrant la main de Gérald Darmanin. Tout juste sorti du meeting du ministre à Versailles, le collectif dénonçait avec ironie les 2 accusations d’abus sexuels portées sur le ministre. Ici, l’effet est limité sur le long terme. “Non à l’impunité en marche”, scandaient les militants. Dommage, il est toujours ministre de l’intérieur.
“On a contribué en partie à l’absence de Blanquer en politique”, se défend Hugo. Le collectif s’est attelé à dénoncer la gestion sanitaire des écoles en janvier dernier. Le ministre de l’éducation avait diffusé le protocole dans un article payant du Parisien, et depuis son lieu de vacances : Ibiza. Pour parodier l’événement, les militants ont organisé deux fausses fêtes, où un sosie du ministre danse en short de bain. Selon Hugo, ce bad buzz a participé à “le mettre en difficulté dans le gouvernement”, notamment pour les législatives. “Il était censé être dans une circonscription hyper facile à gagner”, mais Béatrice Piron, députée LREM, s’y est opposée en dénonçant son impopularité. Il s’est alors retrouvé dans une circonscription “un peu pourrie pour lui, derrière Montargis”, et a perdu dès le premier tour face à la NUPES. Mais l’ex ministre, pour faire annuler l’élection, accuse Bruno Nottin d’avoir fait appel au collectif pour le décrédibiliser durant la campagne. L’humour politique, c’est aussi s’exposer à une reprise politicienne.
Dans son activisme, le collectif Ibiza tente toujours d’éveiller les consciences. Pour cela, il dépend largement de l’impact médiatique : “On réfléchit d’abord à une action marrante, puis comment rendre ce truc marrant en une seule image.” Il est clair qu’une vidéo courte et drôle est facilement partageable et reprise sur les réseaux et les médias traditionnels. Cet été, le JT de 20h a relayé leur plantation d’un potager dans un golf de Saint-Germain-en-Laye. “Des gens ont appris qu’ils n’avaient pas le droit d’arroser leur jardin, tandis que les golfs pouvaient utiliser des milliers de mètres cubes d’eau pour faire verdir leur greens, relate Hugo, ça matérialise bien l’inégalité d’accès aux ressources, qui est un peu le nerf de la Guerre.”
Inattaquables
Pour Hugo, si les actions fonctionnent bien, c’est parce que l’humour en permet le bon déroulement. Il explique : “Pour l’action Darmanin, en 1 ou 2 secondes les vigiles ont compris que ça n’allait pas être violent, parce que c’était juste marrant du coup ils nous laissent aller jusqu’au bout.”
Agir avec malice permet aussi d’assurer le coup, aucune réaction du politique n’est positive pour son image. Contrairement aux attaques physiques, l’équipe de sécurité peut difficilement répondre par la violence, car elle semble injustifiée et choquante. Selon Libération, une part de l’enrayement du RN entre les deux tours est due à leur action dans un meeting. Une militante, brandissant une pancarte avec Poutine et Le Pen dans un cœur, s’y fait violemment plaquer puis traîner à terre. Hugo mentionne également qu’il est difficile de les attaquer en justice car “le procès servirait de tribune médiatique” et entacherait davantage son image. “Au final, on est inattaquables.”
C'est bon pour le moral
Au-delà des effets sur la politique politicienne, le collectif semble bien chercher à réhabiliter la politique dans les mains des citoyens. Ils tentent par exemple d’occuper les réseaux sociaux, comme Twitter, gérés à la fois par Hugo et Amaya. Les internautes ont alors la possibilité de se relayer les images entre eux, parfois de les commenter. Pas sûr que cela concerne les individus vraiment éloignés de la scène politique, car les événements demandent tout de même un minimum de connaissances de l’actualité et des acteurs. Par contre, c’est un moyen de s’approprier la politique d’une manière plus légère pour ceux qui seraient affligés devant les infos : Covid, dérèglement climatique, inflation… L’ambiance a en effet de quoi être morose. L’humour, c’est aussi “bon pour le moral des militants”. Selon Hugo, il permet d’être satisfait dans la construction des projets, “indépendamment de l’impact final”, qui peut être décevant.
Alors certes, Il y a quelques effets concrets, mais c’est surtout pour la proposition d’une politique différente, à la méthode humoristique, que le mouvement semble drôlement bien marcher. En 9 mois, le collectif Ibiza paraît bien s’être fait une place sur la scène militante, vivement la prochaine malice !
Nino Marie
Interview avec Hugo, co-fondateur du Collectif Ibiza
Dé-zoom:
Comment La Poire a interdit qu’on se la fende, ou la petite histoire de la caricature qui a initié le genre en France
En 1831, Charles Philipon, dessinateur, publie une caricature du roi Louis-Philippe en poire dans La Caricature, journal satirique qu’il a fondé. Le symbole de la Poire comme critique royal est fort symboliquement puisqu’il représente l’opulence et la fin des espoirs placés en l’orléanais, qui avait promis un changement de société après les Trois Glorieuses. Sans la condamnation de l’auteur devant la Cour d’assises pour ce trait d’humour on peut se demander si la poire, comme symbole de la Monarchie de juillet, se serait imposée si largement.
Il faut dire que cette affaire intervient dans un contexte particulier de libéralisation de la presse et d’essor du dessin satirique. Pour qu’il y ait presse d’opinion et critique du pouvoir, il faut un minimum de liberté de la presse. Avant le règne de Louis-Philippe, tout contenu dissident se voyait simplement censuré.
La Caricature et Le Charivari, créés par Charles Philipon, respectivement en 1830 et en 1832 sont qualifiés de premiers journaux satiriques du monde. Ils initient la pratique de la caricature qui sera ensuite reprise. Le dessin de presse devient un nouvel outil de critique du pouvoir puisque un français sur deux est toujours analphabète. L’humour politique qu’on trouvait alors plus souvent au théâtre ou dans les salons et qui s’adressait donc à un public relativement restreint est à présent plus largement disponible et surtout, partageable.
On peut voir un parallèle avec les actions du collectif Ibiza aujourd’hui. Lui aussi caricature les traits d’un ministre pour critiquer sa politique ou les actions de son mandat. Lui aussi dépend largement de la presse et des réseaux sociaux pour trouver une caisse de résonance. L’humour, en politique comme ailleurs, a la particularité de ne produire son effet que s’il est partagé.
Manon Lorant