Défendre les médias libres pour défendre l’information libre
Alors que 90% de l’espace médiatique français est détenu par neuf personnes, ce qui appauvrit et éteint le débat public, les médias libres et indépendants cherchent à rester accessibles au plus grand nombre pour aiguiser l’esprit critique de leurs lecteurs. Ces médias, sans publicités et indépendants du capitalisme, prônent un journalisme rigoureux éloigné de toute emprise marketing et financière.
Un problème de fond(s)
La presse, quatrième pouvoir et pouls de la société, doit permettre à chaque citoyen d’y trouver son compte. Les informations se doivent d’y être riches et diverses pour alimenter le débat public. Or, les grands actionnaires des médias tels que Xavier Niel, Vincent Bolloré ou encore Arnaud Lagardère, se sont emparés de l’espace médiatique français. Ceux-ci achètent les médias pour des raisons principalement politiques et non essentiellement journalistiques. Ce faisant, ils épurent les rédactions pour édulcorer la réalité. Le rachat du groupe Canal+ par Vincent Bolloré en 2016 avait provoqué une opposition entre la direction et la rédaction qui réclamait des garanties d’indépendance éditoriale. Celles-ci leur avaient été refusées.« L’information est un bien public indispensable au bon fonctionnement de nos démocraties. »
Aux lecteurs de reprendre ce qui leur appartient pour avoir le pouvoir de choisir ce qu’ils veulent lire grâce à une pluralité d’opinions. Médiacités défend un journalisme rigoureux reposant sur sept piliers dont « un journalisme participatif » ainsi qu’« un journalisme indépendant ». Participatif pour regagner la confiance des lecteurs, indépendant car ceux-ci sont leurs seules sources de revenus. Le modèle journalistique mis en valeur serait donc celui dans lequel journalistes et lecteurs seraient actionnaires pour garantir la meilleure indépendance économique et éditoriale de l’information.
Daphné Ronfard, responsable des plaidoyers au sein de l’association Un bout des médias, souligne que
L'indépendance des médias pour une information libre
Daphné Ronfard continue en expliquant que l’association a pour but de promouvoir et d’aider les médias indépendants mais également de garantir l’indépendance des médias. Cette indépendance médiatique serait permise par la distinction de l’activité économique et de l’activité éditoriale, même au sein d’un média détenu par un actionnaire. L’association cherche ainsi à défendre les médias indépendants tout en améliorant les conditions des médias dit mainstream qui ont un lectorat plus important. Pour autant, elle souligne que « les médias indépendants permettent de se prémunir des risques d’actionnaires qui tenteraient d’imposer une ligne éditoriale ».
Pour Mathieu Slisse, « l’indépendance est là quand on n’a même pas à y penser ». Contrairement aux médias non indépendants qui entraînent une certaine auto-censure de la part des journalistes, à Médiacité, aucun intérêt privé peut venir freiner le traitement d’un sujet.
La ligne éditoriale dévie ainsi un peu du journalisme classique qui rebondit sur l’actualité très chaude puisque les sujets sont traités avec plus de recul afin de mener une enquête a posteriori et de traiter les questions n’ayant pas été soulevées. « La ligne éditoriale du journal, c’est plutôt l’enquête, les sujets fouillés et détaillés, sans trop de limites », résume Mathieu Slisse. « Sans trop de limites ». Pour un journal qui ne vit quasiment que des abonnements de ses lecteurs, « l’indépendance est un idéal, … puis il y a la réalité du terrain », annonce-t-il. Tournant à pertes financières, le journal ne s’interdit pas les sujets pouvant mener à des poursuites mais choisit de les copublier avec des plus grands comme Médiapart qui pourront, eux, faire face aux accusations et ainsi assurer ses arrières.
Suzanne Maillard
Zoom sur...
L’histoire des médias libres français
Le concept de média libre se développe d’abord avec l’émergence de la radio. Dans les années 1970, celle-ci prend une grande importance dans l’espace public. L’Etat est conscient de cette influence et a établi son emprise sur les principales stations. Dans ce contexte, des voix s’élèvent contre ce monopole étatique de l’information, et c’est par la radio qu’elles se font entendre. Entre 1977 et 1981, une vague contestataire s’empare du paysage médiatique : des mouvements, souvent issus de la jeunesse, se forment pour créer leurs propres émissions. Ces stations clandestines véhiculent des discours idéologiques variés comme l’écologie, le syndicalisme, le socialisme, le libertarisme ou encore le régionalisme. Une Fédération Nationale des Radios Libres est même formée temporairement.
Du côté de la presse écrite, Alternatives Economiques est créé en 1980, prônant l’idée d’une économie sociale et solidaire. Le début des années 1990 marque quant à lui une libération de la parole médiatique, qui s’accompagne d’une critique plus vive des pouvoirs en place. En 1996, l’Association Critique des Médias est fondée en réaction au très impopulaire plan Juppé sur la Sécurité Sociale. Mais cette critique ne se limite pas aux seuls pouvoirs politiques. Les journaux dominants sont eux aussi dénoncés par ces nouvelles rédactions.
En plus de leur caractère résolument contestataire, ces médias se démarquent par leur mode de fonctionnement : financement participatif, rejet de la publicité et des sponsors, hiérarchie horizontale (par opposition à l’organisation verticale des grandes rédactions). Les années 2000 réaffirment l’engouement pour ce nouveau modèle, avec l’apparition de grands noms de la presse indépendante : Bondy Blog en 2005, Blast et Mediapart en 2008 notamment. Le milieu de la presse indépendante s’élargit donc, et tente depuis de s’organiser pour mieux prospérer. C’est dans cette optique que le Forum des médias libres est créé en 2009. Sa première édition s’est tenue à Belém, au Brésil.
De nos jours, ces rédactions, qui se présentent comme des alternatives aux médias dits plus “classiques”, se sont orientées massivement vers le numérique, afin d’élargir leur audience. Mais elles accueillent en leur sein de nombreux profils différents. Jeunes journalistes tout juste sortis d’écoles, rédacteurs lassés des conditions de travail dans le privé, ou encore militants associatifs, sont autant de catégories qui trouvent leur bonheur dans ce nouvel espace médiatique.
Eloi Maridat