La presse indépendante pour informer plus librement
Toujours au coeur de l’actualité, la concentration des médias fait à nouveau polémique. Il existe pourtant l’alternative des médias indépendants, qui permettent aux lecteurs de s’inscrire dans un autre système de pensée.
Médiapart a annoncé ce samedi 20 novembre que Vincent Bolloré entamait des négociations pour récupérer le Figaro. Une nouvelle qui soulève de nouveau le débat quant à la détention de plusieurs médias par les plus grosses fortunes, ces dernières contrôlant l’information et contraignant ainsi la liberté éditoriale. Clémence de Blasi, rédactrice en chef de Médiacité à l’antenne de Lille, revendique à ce propos : « L’indépendance, ce n’est pas juste un mot, c’est une valeur qu’on porte et qu’on continuera de porter. » Il existe en effet une véritable scission entre les médias qui sont indépendants, et ceux qui appartiennent à une dizaine d’industriels milliardaires. Ces derniers demeurent cibles de critiques compte tenu de la concentration médiatique dont ils profitent, dans un contexte où 80% des médias sont détenus par des entreprises privées, contre seulement 15% par des groupes d’individus ou des propriétaires privés d’après une étude coordonnée par Julia Cagé et Olivier Godecho, respectivement économiste et sociologue français. Il semblerait ainsi que cette indépendance médiatique, qui se traduit non seulement par le modèle économique vers lequel se dirige un média, mais aussi par les valeurs qu’il porte, soit une alternative qui conquiert de plus belle le lectorat.
Une autonomie financière qui a un prix
Le Canard Enchaîné, Médiapart, StreetPress ou encore La Brique. Ce sont ces médias indépendants, qui, entre autres, ont décidé de faire différemment en appuyant principalement leur financement sur des abonnements ou sur des dons. Un choix qui, selon Clémence de Blasi est « à la fois un gage d’indépendance, mais qui nous fragilise dans le même temps sur le plan économique ». En effet, Médiacité, comme tout média indépendant, favorise l’appel aux lecteurs en prônant le zéro pub et l’indépendance capitalistique. En outre, son modèle économique repose également sur des sociétaires, lesquels peuvent prendre « des petites parts du capital de Médiacité pour des sommes allant de 200 euros à 5000 euros, sachant qu’il y a autour de 200 sociétaire ». Un modèle, à l’abri donc, de toute influence puisque ne présentant aucun lien avec des groupes, des publicitaires, ou des financeurs.
« Je n’ai aucune envie de faire de la communication, des reportages pour faire plaisir »
Clémence de Blasi
Rédactrice en chef de Médiacité
Vers davantage de liberté éditoriale ?
Dans certains titres de presse, il arrive que les sujets soient contraints par les annonceurs. C’est ce qu’a observé Clémence de Blasi, qui déplore : « Dans certains médias pour lesquels je travaille ou j’ai travaillé, j’ai pu m’apercevoir que la pub avait souvent le dernier mot. J’ai parfois, pour certains, l’impression de devoir enrober les pubs, comme si la partie journalistique servait plus de décor à la pub qu’autre chose. » Ce contrôle et cette influence qu’exerceraient les détenteurs des médias irait ainsi à l’encontre des valeurs que portait en 1945 la Fédération nationale de la Presse Française (FNPF), pour qui « La presse n’est pas un instrument d’objet commercial mais un instrument de culture ». Il convient toutefois de nuancer ce débat. Clémence de Blasi poursuit en effet « Il y a des journalistes dans des médias non indépendants qui font un travail extraordinaire, qui ont les mêmes valeurs que nous et qui se battent. » Bien qu’elle revendique que « L’indépendance, c’est aussi un gage de qualité ». Il est aussi fondamental de souligner que s’informer via les médias indépendants encourage le lecteur à s’inscrire dans un autre système de pensée. En effet, ces derniers permettent au lecteur de se réapproprier sa manière de consommer les médias en proposant un contenu et un traitement bien différent que ceux que proposent les grands groupes. En témoigne l’affaire des « Pandora Papers », qui n’a été que véritablement mise en valeur par l’Humanité.
Emma-Lou Eliot
Arthur Louis
Zoom : Entre désillusions et bouleversements, la « France des médias » à la loupe
Affirmer que les Français n’ont plus confiance en leurs médias « historiques » tient aujourd’hui davantage du doux euphémisme que de l’hyperbole insensée. À la lumière d’une escalade de réactions véhémentes sur les réseaux sociaux, l’abandon des plateformes dites « mainstream » se fait plus que jamais ressentir. Preuve – s’il en fallait une – de cette rupture déjà profondément consommée, le baromètre fourni par Kantar pour l’année 2021 fait état de la frilosité ambiante. Ainsi, si la crédibilité de la radio, des journaux et de la télévision enregistre une légère hausse (2%) par rapport à l’an dernier, elle n’en demeure pas moins à des niveaux très faibles, puisque près de la moitié des Français ne croient plus aux informations qui y sont relatées. Internet, refuge principal des médias indépendants mais aussi des réseaux sociaux, connaît quant à lui une croissance plus conséquente (5%) de cette même confiance sur une période identique.
La surmédiatisation de certains sujets, l’angle adopté dans leur traitement ou le fait que certains autres aient été majoritairement éludés font partie des principales raisons avancées pour justifier cette cassure progressive . Le recours à des médias dits « alternatifs » s’explique également pour partie par la crainte du manque d’indépendance politique ou économique du journaliste (cf. infographie ci-dessous). Alice Antheaume, directrice exécutive de l’école de journalisme de Sciences Po Paris, déclarait, dans une interview accordée à Libération en 2019, y voir une période de « transition » de la France des médias. L’hégémonie des indépendants, une fiction amenée à devenir réaliste ?
Pourcentage de crédibilité selon les Français :
Radio : (+2 %/2020)
52%
Journaux : (+2 %/2020)
48%
Télévision : (+2 %/2020)
42%
Internet : (+5 %/2020)
28%
Pourcentage des Français qui estiment que les journalistes ne sont pas indépendants :
Face aux pressions politiques : (-5 %/2020)
63%
Face aux pressions économiques : (-2 %/2020)
59%
Source : Étude réalisée par Kantar pour la Croix/2021
Yaël Djender