L’éco-anxiété est un terme très sollicité médiatiquement, sans pour autant que sa définition et ses effets ne soient connus. Comme l’ont souligné certaines études, ce phénomène est grandissant, notamment dans la jeune génération. Mais de quoi est-il le nom, et quelles réponses adopter face au constat alarmant d’un monde qui court à sa perte ?
« Et un, et deux, et trois degrés : c’est un crime contre l’humanité ! » Le vent glacial de ce vendredi 10 mars, n’a pas empêché un cortège d’une centaine de manifestants de défiler dans les rues de Lille pour scander la nécessite d’engager une lutte efficace contre le réchauffement planétaire. « On doit agir maintenant, demain il sera trop tard », affirme Maïa, lycéenne. L’éco-anxiété ? Elle et d’autres de ses camarades y sont sujettes depuis plusieurs années : « C’est en me renseignant sur les rapports du GIEC que j’ai pris conscience du problème », explique-t-elle, avant d’ajouter : « Je me suis sentie démunie. »
Un mal-être grandissant
Maïa n’est pas la seule. En effet, l’éco-anxiété, définie comme étant une détresse psychique et mentale face aux enjeux environnementaux, est un mal-être grandissant qui touche de plus en plus de jeunes. Une étude publiée en 2021 dans le journal scientifique The Lancet Planetary Healt menée auprès de 10000 personnes âgés de 16 à 25 ans soulève que 59% d’entre eux se déclarent « très » ou « extrêmement inquiets » du changement climatique. « C’est un phénomène sociétal qu’il ne faut pas sous-estimer », estime le psychologue Pierre-Eric Sutter, co-auteur de N’ayez pas peur du collapse (2020).
Une génération en quête de sens
La psychologue lilloise Nathalie Degoumois constate quant à elle « une nouvelle quête de sens ». « Beaucoup de mes jeunes patients remarquent que leurs perspectives d’avenir sont en décalage avec leurs aspirations », affirme-t-elle, pointant aussi la défiance de certains à l’égard du système capitaliste, incapable de prendre en considération la question environnementale.
Cette quête de sens est, pour Pierre-Eric Sutter, la preuve que les individus sujets à l’éco-anxiété sont conscients que le système est voué à s’effondrer, c’est pourquoi il préfère employer le terme d’« éco-clairvoyants ». Alors que certains cas d’anxiété sont dûs à « une interprétation déformée de la réalité », cette nouvelle forme est quant à elle le résultat d’une observation lucide. Loin d’être une simple maladie à soigner, l’éco-anxiété serait « une réaction naturelle qu’il convient de gérer et de dépasser, en passant à l’action pour changer les choses », explique le psychologue.
Transformer l'éco-anxiété en action
A l’image de Maïa, un des sentiments qui prédomine chez les patients est selon Nathalie Degoumois « le sentiment d’impuissance ». Face à cela, une solution : « Agir, chacun à son niveau, ne pas adopter une posture passive. »
Son collègue Pierre-Eric Sutter conseille alors la mise en place d’un éco-projet, « de manière à sortir de l’immobilisme et surtout à prendre conscience de sa capacité à changer les choses ». Un de ses patients a par exemple créé une ferme solidaire et un autre a convaincu sa copropriété de rénover thermiquement son bâtiment. « Il y a un tas de chose à faire, il est possible d’agir de beaucoup de manières différentes. Nous pouvons tous trouver une façon de s’engager qui nous corresponde. »
Mais au-delà de ces actions individuelles, Pierre-Eric Sutter appelle à « recréer un imaginaire ». « Un éventuel effondrement à venir, s’il impliquerait inexorablement des souffrances, serait également synonyme d’un monde nouveau, où, comme on l’observe après des temps difficiles, des solidarités et des liens se créent. »
Car tout n’est pas perdu, en témoigne la motivation de Maïa et ses amis qui continueront à se mobiliser, toujours « plus chauds, plus chauds, plus chauds que le climat ! »
Rémi Babonneau
À l’occasion de la manifestation pour le climat du 10 mars 2023, nous sommes allés interroger les manifestants sur l’éco-anxiété. Le sont-ils ? Comment gèrent-ils cette anxiété ? Quelles actions pour mieux vivre avec ? Est-ce que manifester est un moyen pour lutter contre l’éco-anxiété ?
Vidéo réalisée par Augustin Anuset.
La collapsologie : qu'est-ce que c'est ?
La collapsologie est un courant de pensée transdisciplinaire apparu dans les années 2010. Il se base sur des travaux scientifiques de plusieurs disciplines (climatologie, économie…) pour nourrir et appuyer sa théorie centrale : notre civilisation est sur le point de s’effondrer.
Il est vrai qu’actuellement, lorsque l’on entend le mot « effondrement », les pires prédictions nous viennent en tête. Inondations extrêmes, grandes sécheresses, voire attaque de zombies, autant de scénarios horrifiques qui nous privent de perspectives d’avenir.
Mais c’est justement cette vision de l’effondrement que la collapsologie vise à dépasser. Pour elle, il faut accepter l’effondrement, prendre pleinement conscience qu’il est inévitable. Accepter les émotions que ce constat engendre et y faire face, sans pour autant se faire submerger et se sentir résigné. Il faut aller au-delà de ses émotions, au-delà de l’effondrement, pour agir.
Pour y parvenir, la collapsologie veut créer des nouveaux imaginaires et une nouvelle vision des effondrements. Les voir comme une opportunité de rebâtir une nouvelle société, plus juste et plus respectueuse de son environnement, permet de ne pas se sentir impuissant face à cet avenir incertains et inquiétants. En rouvrant le champs des possibles, en proposant aux citoyens des perspectives d’avenir, elle veut les pousser à agir pour préparer le monde d’après l’effondrement, le monde de demain.
Célia Cade