S’autoéditer, entrer plus librement dans le monde de la publication
Dans un contexte où les inégalités sociales et économiques n’ont jamais été aussi importantes, les difficultés d’accès à l’édition de livres ne cessent elles aussi de s’accroître. Souvent en manque de moyens, les écrivains se retrouvent obligés d’autoéditer leurs ouvrages. Mais face aux grandes maisons d’édition, ces auteurs peinent à exister. Pour financer leurs projets, ils lancent des campagnes de crowdfunding. A Lille, la librairie Croâfunding leur vient en aide et crée « le circuit court du livre ».
Située au 90 rue Pierre Mauroy, la librairie Croâfunding présente une particularité : tous les livres qui y sont vendus sont autoédités et financés par des campagnes de crowdfunding. En plein essor, ce procédé permet à des particuliers de présenter leurs projets sur diverses plateformes spécialisées et d’ainsi pouvoir obtenir une aide financière de la part des internautes intéressés. Depuis 2010, il s’applique aux projets artistiques. Xavier Lancel, fondateur de la librairie en novembre 2021, a décidé d’en faire son métier. Une belle initiative permettant de démocratiser l’accès à la publication, trop souvent soumise à d’importants moyens financiers.
Un projet plus personnel
Avec l’autoédition et le crowdfunding, une nouvelle manière de publier est née. Un circuit plus court, reposant uniquement sur l’écrivain et le vendeur. Ainsi, le rôle de la maison d’édition et du distributeur n’existe plus. Cela permet ainsi à n’importe qui de pouvoir publier un livre sans se heurter aux critiques et refus des maisons d’édition, qui sont à l’origine de nombreuses pertes de confiance en eux des auteurs. L’occasion pour l’écrivain de mener son projet du début à la fin, tout en garantissant ses libertés.
Les maisons d’éditions vont souvent à l’encontre de ce que veut l’auteur, obligeant ce dernier à effectuer des modifications non souhaitées. En choisissant l’autoédition, ce dernier est libre de publier son livre comme il le souhaite. L’auteur peut ainsi tout contrôler et proposer un livre à son image, tant sur le fond que sur la forme. Il conserve ainsi tous ses droits et contrôle, en accord avec le libraire, la publication de son livre. Il est donc totalement libre de choisir les sujets qu’il veut évoquer et la mise en page qu’il souhaite donner à son projet. Cela garantit ainsi la liberté d’expression et d’édition de l’auteur, aujourd’hui menacée par les maisons d’édition classiques. Une étude menée par la chercheuse québécoise Anne-Marie Voisard en juillet 2020 a démontré que depuis les séries d’attentats en Europe, les maisons d’éditions n’hésitent pas à limiter et mettre la pression sur la parole des auteurs. L’autoédition pourrait donc être un remède à ses limitations de plus en plus nombreuses. Les maisons d’éditions limitent la plupart des auteurs à un nouvel ouvrage par an, ce qui les empêchent de se développer et participent à l’appauvrissement de ces derniers.
En garantissant la liberté des auteurs, le circuit court de l’édition ouvre donc le monde de la littérature à de nouveaux auteurs. Mais ce dernier permet aussi de lutter contre les problèmes centraux du monde de l’édition que sont la rémunération, la nécessité de moyens financiers importants et le principe de nouveauté.
Avec le crowdfunding, les auteurs peuvent demander un financement aux internautes, ce qui leur permet des moyens plus importants pour éditer leurs livres. Pour ce qui est de la rémunération, l’autoédition est, là aussi, bien plus avantageuse. En conservant leurs droits d’auteurs, les écrivains autoédités reçoivent entre 50 et 60% des revenus générés par les ventes de leurs livres contre seulement 8% pour les auteurs édités par des maisons d’édition. De quoi permettre aux auteurs autoédités une certaine stabilité financière. De plus, avec ce circuit, fini le principe de nouveauté. Alors qu’après seulement quelques semaines, la plupart des livres sont délaissés car remplacés par de nouvelles sorties, les livres auto-édités ne souffrent pas de cette limitation.
« Ce circuit est aujourd’hui minoritaire mais il a un gros potentiel. Cela pourrait être intéressant d’ouvrir une bibliothèque crowdfunding dans toutes les grandes villes afin de voir comment ce système évolue », indique Xavier Lancel
Alors même si les livres autoédités ne représentent que 20% des livres déposés pour le moment, ce circuit court pourrait faire augmenter ce chiffre. D’autant plus qu’il est en plein essor. Avec Croâfunding, Xavier Lancel fut le premier à lancer une librairie « 100% autoédition » mais depuis, un nouveau projet a vu le jour et deux autres sont en création.
Maxime Paulin
Zoom sur... Apprendre à écrire : la base de l’inclusion
Si matériellement, la publication tend à s’ouvrir à un public de plus en plus large, l’écriture qui la précède est le théâtre d’inégalités. La rédaction impose des codes, des règles invisibles et inconnues des personnes pour lesquelles l’écriture et la lecture n’ont pas été présentées comme des évidences dans la famille.
Pour remédier à cette asymétrie, certaines formations sont proposées par des écoles privées ou des entreprises. Mais une initiation plus accessible, et donc gratuite, est nécessaire.
Les personnes qui, en France, ne maîtrisent pas l’écriture, sont écartées de nombreuses activités, du domaine administratif, associatif et de la culture. L’association Les Mots pour l’Écriture propose à Lille des ateliers d’écriture. Son principe repose sur l’intervention d’écrivains publics qui offrent un accompagnement personnel à ceux qui en témoignent la volonté. Cette organisation se lance dans une véritable lutte contre l’analphabétisme et l’illettrisme. Son fonctionnement repose sur une spécificité : une nouvelle vision de l’écriture. À travers des ateliers variés, l’écriture est abordée sous un angle expressif et ludique.
L’écriture, au-delà d’être un outil utile pour l’intégration dans une société qui repose sur une administration, est un moyen d’expression. Le groupe Les mots pour l’écriture agit, en “s’inscrivant dans une dynamique locale de politique publique”.
Marie Zannier