Dans l’ombre demeurent une myriade de femmes qui n’ont pas connu la lumière. Soustraites de l’Histoire, elles ont pourtant contribué à la forger sans que leur place ne soit reconnue. Le projet Filtre magique de Mercedes Klausner, exposé à la Maison Folie de Moulin, est l’occasion de révéler des portraits de femme méconnues, preuve que l’art peut servir à diffuser l’Histoire oubliée.
« L’inconscient a sa part de vérité », les hommes au pouvoir ont joui d’une grande part de responsabilité dans l’écriture de l’Histoire. Ces mots pour expliquer l’effacement volontaire des femmes sont ceux de Camille Richert. Enseignante de l’histoire de l’art à Sciences Po, elle explique que l’absence ou la présence très ténue des femmes dans les archives n’est pas sans lien avec l’organisation d’une société qui les excluait des sphères du pouvoir.
Faire la lumière
L’artiste visuelle et architecte argentine Mercedes Klausner a fait le choix d’enquêter sur des visages effacés pour leur rendre un hommage aussi singulier qu’original. Dans son atelier basé à Roubaix, elle détaille les étapes de son projet dont les racines remontent à sa formation où le manque de références féminines l’a interpellé. Elle précise la genèse de sa démarche artistique : « Je voulais savoir si j’étais la seule à partager cette inquiétude. » Parce qu’elle souhaite en faire une œuvre collaborative, elle lance un appel à contributions sur les réseaux sociaux qui lui permettra de sélectionner 26 présentations de femmes. Le mystère autour des sources et la subjectivité dans le choix des contributeurs anonymes sont déjà une invitation à remettre en question notre passé. Selon elle, l’Histoire n’est pas une vérité immuable : « En perpétuelle évolution, elle se corrige en continu. »
Durant l’exposition, nous sommes autant acteurs que spectateurs car c’est en projetant de la lumière que l’on peut finir de dévoiler les portraits de femmes. Pour ce faire, Mercedes utilise la technique du dessin sur vitre, une fine plaque de verre où le vernis est gratté pour créer comme une gravure à l’envers. Une étroite collaboration entre l’ombre et la lumière pour un rendu très réaliste qui stimule nos sens et bouleverse nos sentiments. Mercedes Klausner nous permet ainsi de rendre un hommage personnel à ces femmes oubliées, de « comprendre que l’Histoire n’est pas figée mais qu’il faut au contraire remettre en question ses bases qui forment notre vision de l’avenir ».
Des progrès en vue
Demain se prépare dès aujourd’hui, d’où cette nécessité de revenir aux fondements. Si questionner les manuels d’histoire s’avère essentiel pour Mercedes, le corps enseignant a aussi son rôle à jouer : « Peupler le champ référentiel de mes étudiants avec autant d’hommes que de femmes pour viser une plus juste égalité et une meilleure parité entre les deux genres », est l’ambition de Camille Richert. Gardons tout de même espoir car l’art contemporain fait de plus en plus de progrès estime la chercheuse : « En France un rééquilibrage est en cours mais outre-manche il y a au moins 10 à 20 ans d’avance sur les pratiques avec une grande normalité dans la représentation des personnes minorisées qualitativement. » Promouvoir la défense des femmes et du genre est une mission que mène aussi des associations comme Mnémosyne. Née à l’initiative de la revue CLIO, Histoire, Femmes et Sociétés, l’association poursuit des actions de recherches et d’enseignement en France comme à l’international. D’une grande ressource, elle mène un travail d’historiographie qui s’attache à pister, identifier et retrouver les noms qui ont échappé à l’écriture des sources.
Nicolas Amadéi
Zoom : Le Projet « les sans pagEs »
La lutte pour faire connaître les femmes oubliées de l’Histoire a également lieu sur Internet. Le projet « les sans pagEs » en est le parfait exemple. Lancé en juillet 2016 par Natacha Rault à Genève, il a pour objectif de lutter contre les déséquilibres de genre sur Wikipédia.
Le projet « les sans pagEs » a été lancé en raison d’un constat clair : les femmes sont sous-représentées en proportion sur Wikipédia par rapport aux hommes. Un chiffre clair illustre cela : en 2016, Wikipédia en français comptait 538 883 biographies d’hommes, contre 91 175 de femmes, ce qui signifie que seulement 16,92% des biographies totales du site étaient consacrées aux femmes. « Les sans pagEs » œuvre donc à remédier à ce déséquilibre criant. En 2020, 4 années après la mise en place du projet, plus de 5000 pages biographiques sur des femmes avaient été créées par les participants au projet.
À travers des ateliers organisés, les contributeurs volontaires au projet se retrouvent pour travailler sur l’amélioration et la création d’articles Wikipédia portant sur des femmes, sur le féminisme, le biais de genre, ou d’autres sujets sous-représentés.
Facile d’accès, ce projet vous est accessible en cliquant ici. Il vous suffit d’inscrire votre pseudo dans la liste des participants pour ceux qui souhaitent y prendre part, et ainsi conter les histoires de ces femmes qui méritent d’être connues de toutes et tous !
Colin Van Hille
Portrait de 3 femmes oubliées de l'Histoire
Crédit vidéo: Mathis Bonamy