Rayons anti-gaspi sur canapé de slogans marketing avec sauce truffée d’hypocrisie
Posted On 1 février 2024
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Nous sommes en janvier, les fêtes de fin d’année sont passées et on a déjà commencé à ranger les sapins en plastique et les boules de Noël multicolores. Tout le monde se remet de cette période fastueuse, particulièrement pour les grands magasins car le mois de décembre est souvent le plus propice aux dépenses. Les innombrables enseignes de la grande distribution française ont dû jouer des coudes pour mettre en place leurs meilleures stratégies commerciales et rivaliser d’ingéniosité pour engranger un maximum de bénéfices sur fond de guirlandes scintillantes et foies gras hors de prix soigneusement mis en avant dans les rayons. Ce décor enchanté que revêtent en décembre tous les magasins nous ferait presque oublier que derrière se cache un problème auquel nous participons tous sans vergogne : le gaspillage alimentaire.
On a cherché à savoir si les enseignes de la grande distribution comme le géant français Auchan mettaient en place des actions concrètes pour éviter le gaspillage alimentaire, du moins le réduire au maximum. On a bien sûr téléphoné au service client d’Auchan à Villeneuve d’Ascq mais on attend toujours qu’un responsable tienne parole et nous rappelle. On a également téléphoné au responsable des rayons fruits et légumes du magasin qui a catégoriquement refusé de nous consacrer quelques minutes d’entretien sous prétexte d’un manque de temps considérable.
Pour trouver des réponses, on a donc un peu forcé le destin en allant directement sur le terrain à la rencontre de deux employés d’Auchan V2. Un homme chargé du réapprovisionnement des rayons fruits et légumes nous explique enfin que des paniers anti-gaspi ont existé durant quelques mois en début d’année 2023 mais apparemment, l’initiative a été aussi éphémère que la bonne résolution de se remettre au sport après les fêtes du nouvel An…
Néanmoins, il existe tout de même un nouveau rayon qui réunit une petite centaine de produits (viandes, salades, biscuits et même pâtisseries) dont la date limite de consommation arrive à son terme ou la date « à consommer de préférence » est déjà dépassée, et dont les prix sont cassés. Des réductions allant de -20 % à -50 % sont appliquées sur les prix initiaux. Mais là encore, force est de constater qu’il y a un hic dans la démarche puisque ce rayon anti-gaspi, déjà pas très grand, est situé à l’extrémité du magasin dans un coin éloigné des brassages et n’est pas du tout mis en avant. C’est tout de même une belle initiative selon une autre employée qui affirme la nécessité de ce rayon pour les étudiants et les personnes qui n’ont pas beaucoup de moyens financiers. Mais lorsque la date de péremption est dépassée, les produits sont directement jetés, une aberration qui n’existerait pas si on les donnait à des associations quelques jours avant la date limite plutôt que de tenter d’en tirer encore un peu d’argent quitte à gaspiller si personne ne les achète. En prime, Auchan arrive même à créer des slogans marketing ridicules pour appâter les clients avec ses « offres tic-tac tic-tac », et oui en effet, ce serait tellement dommage de ne pas « en profiter » !
Au final, à part quelques réductions apposées par dépit sur les produits qui risquent de ne pas trouver preneur avant la date de péremption, Auchan ne réalise que très peu de dons. Quelques produits frais comme les fruits et les légumes amochés sont donnés au Secours Populaire mais cela ne reste encore qu’une trop petite proportion des produits qu’Auchan ne réussit pas à vendre.
Rappelons tout de même que le gaspillage alimentaire, défini par la loi du 11 février 2020 comme « Toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à un endroit de la chaîne alimentaire est perdue, jetée ou dégradée », représente près de 10 millions de tonnes de nourriture consommable gaspillée chaque année en France, dont 14 % sont gaspillés lors de la distribution commerciale. Par ailleurs, la France est engagée à réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici 2025, notamment grâce à la loi Garot du 11 février 2016 qui prévoit « l’obligation, pour les magasins alimentaires de plus de 400 m² de proposer une convention de don à des associations pour la reprise de leurs invendus alimentaires encore consommables ; et l’interdiction, pour les distributeurs alimentaires, de rendre impropres à la consommation des invendus encore consommables ». La loi Garot introduit également une hiérarchie des actions à mener en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire. Elle donne la priorité à la prévention, puis aux dons ou à la transformation. Viennent ensuite la valorisation en alimentation animale et énergétique. La destruction est envisagée en dernier recours. La loi entend aussi renforcer les actions d’éducation et de sensibilisation au gaspillage alimentaire pour tous.
En bref, Auchan V2 propose maintenant des produits anti-gaspi mais en très petite quantité. Certains y verront un premier pas vers le progrès… Mais peut-être serait-il plus approprié de parler d’hypocrisie d’un système capitaliste qui pousse à la surconsommation tout en donnant l’illusion d’une réglementation hypothétique et pseudo-révolutionnaire, quand il suffirait en réalité de changer nos façons d’être et d’agir au monde.
Papier principal par Marine Wagnez-Gaftarnik
Photographies par Inès Veissière
Afin de lutter contre le gaspillage alimentaire – qui représente 10 millions de tonnes de nourriture par an en France – le réseau d’épiceries NOUS Anti-Gaspi s’inscrit dans une logique de consommation responsable.
Son concept : sauver les produits retirés du marché et destinés à la poubelle, en les revendant. Il s’agit ici d’aliments dont la date de péremption est proche, voire dépassée ; d’articles à l’emballage abimé ; d’anciennes références, etc… Tant de denrées dévalorisées mais qui sont en réalité encore consommables.
Cette initiative a été lancée par Vincent Justin et Charles Lottmann qui ont fait de NOUS Anti-Gaspi la première marque distributeur dédiée aux produits de « seconde chance ». L’épicerie n’a donc pas développé une nouvelle gamme mais ne fait que revendre des produits invendus de marques déjà existantes. Voilà son objectif : pallier la surproduction dans une ère où les fournisseurs industriels produisent en masse et créent un stock inépuisable qui entraine du gaspillage alimentaire.
A Lille, situé rue Léon Gambetta, le magasin propose une variété de choix par des arrivages aléatoires en fonction des marchandises mises de côté par les supermarchés : fruits et légumes, laitages, viandes, épicerie salée et sucrée, boissons… Les produits sont locaux, ou du moins d’origine française, et les prix sont jusque 50% moins chers par rapport aux supermarchés traditionnels. Il est également possible de commander en ligne avec un retrait en magasin.
Et pour suivre leurs convictions, les invendus sont redistribués à des associations.
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