L’EHPAD ne devrait pas être un « mouroir » mais un lieu où nos ainés pourraient vaincre l’isolement social. 594 700 retraités sont hébergés dans des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) en France. 1/3 d’entre elles seraient victimes de dépression selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) et vivraient leur vieillesse comme une longue attente. Christine, une professeure de philosophie à la retraite, cherche à sortir ces personnes de leur mort sociale et s’engage auprès des EHPAD en proposant des lectures au sein d’un groupe de lecteurs bénévoles. L’enjeu principal des interventions culturelles en établissements c’est de continuer à stimuler la curiosité intellectuelle qui permet de faire perdurer l’indépendance et l’autonomie, et ne pas succomber à la passivité.
La crise sanitaire en 2020 n’a fait qu’aggraver cette situation déjà fragile de l’isolement social et les résidents en EHPAD ont particulièrement souffert de cet ostracisme extrême. C’est pourquoi lorsque l’une des connaissances de Christine, alors animatrice en EPHAD, était à la recherche de bénévoles pour mener des projets avec les résidents. Christine a vu à ce moment-là une possible convergence avec ses engagements. Cela tombait parfaitement pour faire naître un moment de partage autour de lectures tirées de l’Encyclopédie des migrants – un projet artistique de Paloma Fernández Sobrino et porté par l’association L’âge de la tortue, qui réunit 400 témoignages d’histoires de vie de personnes migrantes sous forme de lettres à un proche.
Christine remarque que les lectures des lettres en EHPAD et en résidence autonome sénior provoquent une attention particulière, et recréent un lien social à travers ces récits. Tout d’abord entre lecteurs et résidents, mais aussi avec les personnels et les directeurs qui viennent prêter une oreille. C’est un échange humain puissant qui se tisse lors des lectures. A travers les lettres c’est comme si une rencontre se faisait entre des mondes qui ne se côtoient pas directement. Les personnes âgées partageaient l’impression de se reconnaitre dans l’exil raconté dans les lettres par les migrants. Un exil, comme une mise en marge de la société, mais aussi à travers la difficulté commune d’affronter les gros changements générés par le fait de quitter sa maison, sa famille, les odeurs familières, son voisinage, la légèreté de quitter une vie qu’on aimait pour une vie qu’on ne retrouve pas tout à fait en EHPAD. Les personnes âgées s’identifiaient à ce quotidien fait de manque, d’une vie antérieure où ils étaient plus jeunes et en bonne santé.
« Ce qui attire c’est la puissance d’humanité, la quintessence d’humain »
« Pour les directeurs ce qui compte c’est qu’il y ait des animations, que les résidents sortent de leur chambre. Le pire ennemi de la maison de retraite c’est l’ennui donc tout est une bonne raison de rompre la solitude. » Selon Christine, le manque d’interventions culturelles en EHPAD comporte deux enjeux principaux. Le premier étant politique, d’un point de vue financier il est préférable de maintenir les personnes âgées en capacité de continuer à contribuer activement à la vie en société. De plus les soins les plus coûteux ce sont les aides pour les personnes les plus grabataires qui nécessitent une mobilisation publique plus importante. Le deuxième enjeu est avant tout éthique, la vieillesse n’est pas synonyme d’une mort anticipée, le lien humain et le maintien des capacités réflexives sont des besoins vitaux. Les activités proposées ne doivent pas être seulement une manière de passer le temps, mais doivent continuer d’encourager l’épanouissement intellectuel.
« Le pire ennemi de la maison de retraite c’est l’ennui donc tout est une bonne raison de rompre la solitude ».
A la suite des lectures, les spectateurs ont exprimé le souhait d’écrire à leur tour leur propre lettre pour se repenser eux-mêmes au-delà des étiquettes. Se définir autrement que par la simple catégorie de « personne âgée » qui déshumanise et désindividualise. De même que les migrants ne sont pas un groupe d’individus tous semblables, les ainés ne sont pas un groupe homogène. Christine préfère le terme de « personne avancée en âge » car les séniors d’aujourd’hui sont les mêmes adultes autonomes qu’ils ont été il y a 20-30 ans, à la différence près qu’ils traversent parfois des soucis de santé qui leur font perdre leur autonomie physique. Ce n’est pas une dénomination anodine car désigner un groupe de personnes en généralisant leur besoin est un danger, non seulement cela multiplie les préjugés mais cela porte à croire que le soin apporté en EHPAD peut être le même pour tous les résidents.
Cette reconsidération individuelle de l’ainé est indispensable dans une politique du « bien vieillir ». Si le manque de financement des établissements pour sénior est évident, la conséquence directe est la dépression de nos ainés face à cette « mort sociale ». Il est temps de changer cette conception de la vieillesse car personne n’y échappera, mais il est possible de faire le choix que ce ne soit pas une souffrance. Le besoin de relation sociale est vital, chaque personne a besoin pour réunifier son unité personnelle de reconvoquer toutes les facettes de lui-même au contact d’autrui.
Noémi Videira
3 questions à une résidente bénéficiaire de la médiation animale
Pour favoriser le bien-être des résidents et pallier leur solitude, certains Ehpad font appel à des associations de médiation animale. Celles-ci offrent une relation d’aide à visée préventive ou thérapeutique dans laquelle un animal est introduit comme partenaire social auprès d’un bénéficiaire. *Monique, âgée de 83 ans, profite de cette activité depuis maintenant trois ans et témoigne de ses bienfaits.
* le prénom de la résidente a été changé par volonté d’anonymat tout comme le nom de l’Ehpad qui ne figure pas.
Quel(s) effet(s) vous procure le contact avec les chiens de la médiation animale ?
Monique, âgée de 83 ans explique : « Ça apporte beaucoup de bien-être. Toutes les semaines je retrouve différents chiens ; ils sont contents de nous voir tout comme nous, les résidents. C’est pas pareil que des humains. Les chiens créent plus facilement un lien avec les humains et ils sont très affectueux, ils ne demandent rien en échange excepté des caresses. Avec eux, on ne prend pas le risque d’être jugé contrairement au cas où une personne serait payée pour nous faire la discussion. »
Comment la médiation animale est-elle arrivée dans votre quotidien ?
« A l’Ehpad, des heures de médiation animale nous ont été proposées sur la base du volontariat et j’ai été curieuse de voir ce que ça pouvait m’apporter. Dès la fin de la première rencontre, ceux qui n’avaient pas voulu essayer nous ont vu revenir avec le sourire et, depuis, personne ne loupe ces après-midi. »
Qu’est-ce qui a changé chez vous depuis que vous participez à ces rencontres ?
« Ça me stimule parce que ça fait aussi sortir. Avant je n’aimais pas aller dehors et j’avais du mal avec le contact extérieur tandis que, maintenant qu’on peut aller promener les chiens, je sors marcher et ça me maintient en forme. Je me sens aussi moins seule. La solitude nous frappe plus facilement, nous les personnes âgées, et créer un lien avec un chien m’a permis de recevoir une aide aussi bien physique que morale. »
Clarisse Guyard