En octobre 2018, face aux politiques instaurant une sélection à l’Université, un collectif d’étudiants et de professeurs lillois crée le collectif Lille 0. Une université autogérée, en somme, qui invite à développer une réflexion critique de la société.
©Esther Lelièvre
“L’université est morte, les étudiants ne cherchent plus que les crédits, c’est la capitalisation de l’université”. Ce discours, tenu par un intervenant de Lille 0, justifie la nécessité de lutter contre ce système universitaire formaté par le capitalisme. Le nom Lille 0 fait référence à la fusion des universités de Lille, concentrant l’autorité universitaire. Son approche pédagogique, elle, est aux antipodes. Cette « version idyllique de l’université », d’après l’un de ses fondateurs, est née avec la lutte contre la loi d’Orientation de Réussite des Étudiants (O.R.E) en 2017/2018.
En réponse à la loi O.R.E, à la réforme du baccalauréat, et à la hausse des frais pour les étudiants étrangers, cette série de lois vise à limiter les capacités d’accueil universitaires. A contrario, Lille 0, par sa volonté de partager un savoir pas toujours évoqué dans le cadre de la formation classique, accueille à bras ouverts. Elle s’inspire en partie de l’université de Vincennes créée en 1968 lors des mouvements étudiants. Les cours étaient libres d’accès à tous, indépendants et autogérés. Produire, se réapproprier, donner des outils d’émancipation sociale et de critique des systèmes de domination, c’est tout l’intérêt de cette initiative.
"Dépasser la forme hiérarchique me semble très positif"
À Lille 0, tout le monde peut participer, étudiants comme personnes âgées, gratuitement. Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice en proposant également un cours bénévolement. Seule condition : apporter une réflexion critique qui ne porte pas de propos qui justifierait l’oppression ou les discriminations. Régulièrement, Lille 0 propose des ateliers, des cours théoriques et pratiques. Les objets de réflexion peuvent porter sur l’écologie radicale, les puissances de l’exil…
L’un des éléments phares : les ateliers street-médic et anti-répression. Le but, transmettre des notions de soins, de premiers secours et connaître ses droits devant la Justice ou face à la Police.
Les ateliers de Lille 0 s’effectuent dans les bars, les rues, les facultés. Le 6 février 2019, le cours sur les puissances de l’exil a eu lieu au café des Sarrazins à Wazemmes. Bistrot coopératif qui vend des produits bio et locaux.
Bien consciente de ses limites, Lille 0 se veut populaire. Pour se faire, une diversification des lieux et activités est pensée afin d’accueillir le plus de monde possible. L’auto-censure doit être limitée au maximum. Lille 0 se veut aussi inclusive que possible. Elle lutte contre toute forme d’oppression subie par les groupes marginalisés. “Dépasser la forme hiérarchique me semble très positif”, explique une membre active. Effectivement, on remarque dans les cours une volonté de déconstruire les préjugés et les discours dominants, qui légitiment les hiérarchies.
Dans cette mise en place d’une structure horizontale et collective, chacun peut s’exprimer de manière égale. Partager des savoirs sans nécessairement recevoir un diplôme. “Les diplômes représentent un obstacle à la liberté d’éducation”, pour Ivan Illitch, une figure importante de la pensée critique. Il est à l’image de la réflexion que porte le collectif lillois.
Si vous voulez participer à ces activités ou avoir plus de renseignements, n’hésitez pas à vous rendre sur leur site.
Pierre Azé
Quelques airs de Mai-68
Le mercredi 27 août 1980 au matin, le vacarme des bulldozers, avec l’accord de la ministre des universités Alice Saunier-Seité et de la mairie de Paris, réduisit au silence le centre universitaire de Vincennes. Construite en un mois à l’automne 1968, et détruite en moins de trois jours, l’université de Vincennes fut la conséquence, et la continuité de Mai-68. Vincennes, fonctionnant en autogestion, avait comme volonté d’être ouverte à tous. Les non-bacheliers étant admis, le cursus n’était pas le critère principal. Seule la soif de savoir comptait. Université totalement atypique, expérimentale, mais aussi novatrice, elle ouvre ses portes à de nouvelles disciplines (urbanisme, cinéma, musicologie, psychanalyse).
Durant les années 1970, des grands noms universitaires s’y bousculaient : Gilles Deleuze, Michel Foucault, Jean-François Lyotard, Yves Lacoste, pour ne citer qu’eux. Les cours magistraux étaient abolis, au profit de cours en petit comité se tenant du matin jusqu’à tard dans la nuit, auxquels tous les étudiants pouvaient avoir accès. Cependant l’expérience au fil des années n’a pas réussi à effacer les guerres intestines entre les communistes, anarchistes, maoïstes et trotskistes. De plus, victime de son succès, elle qui était prévue au départ pour 8 000 étudiants, en comptabilisa jusqu’à 32 000. Les locaux, tous préfabriqués, devenaient insalubres. Les problèmes de trafic de drogue au sein de l’enceinte de la faculté donneront raison à la ministre des universités de l’époque de détruire le site et de déménager l’université de Vincennes à Saint-Denis qui deviendra dans le même temps Paris-VIII. Ainsi se termina l’expérience de Vincennes. Il n’en reste plus qu’une clairière. Son esprit quant à lui, réapparaît parfois par intermittence (comme à Tolbiac récemment), gardant toujours l’espoir d’être plus qu’une parenthèse.
Adrien Bacon