Le Dry January : le défi de tous les (im)possibles ?
Le Dry January, défi qui consiste à ne pas consommer d’alcool pendant le mois de janvier, touche à sa fin. Il compte de plus en plus de participants et s’impose comme une solution pour réduire sa consommation d’alcool.
Se mettre une murge, prendre une caisse, se cuiter, se bourrer la gueule, se mettre à l’envers, se terminer… Appelez-le comme bon vous semble, mais l’alcool festif est une pratique régulière chez les Français. D’après l’INSEE, environ un tiers de la population âgée de 18 ans ou plus a une consommation « à risque ». Normalisé et banalisé, marque du savoir-faire et, au delà, du savoir-être français, l’alcool est dans les mœurs. Le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, l’a lui-même souligné. Le vin ne serait pas un breuvage comme les autres : « Je n’ai jamais vu un jeune qui sort de boîte de nuit et qui est saoul parce qu’il a bu du Côtes-du-Rhône… », soulignait-il quinze jours après le lancement du Dry January. Avant d’ajouter que tous les types de dépendances étaient à prévenir, que ce soit au vin ou à d’autres boissons. Prévenir l’alcoolisme tout en préservant les appellations et la culture françaises, ce sont là les caractéristiques du paradoxe français.
Réparer les corps et les esprits
Le Dry January est présenté comme un moyen d’apprendre à réguler son usage d’alcool, sans pour autant l’exclure totalement de son mode de vie. A l’initiative de l’association britannique Alcohol Change UK depuis 2013, ce défi a pris une nouvelle ampleur avec l’émergence des réseaux sociaux. Il implique un challenge simple : au lendemain des fêtes, il propose de ne plus consommer d’alcool pendant le premier mois du calendrier. Cette période de sobriété permet aux participants d’apprendre à vivre sans, de trouver des alternatives et de se détacher de l’aspect systémique de la pratique. Gains d’énergie, concentration, meilleur sommeil, perte de poids… Non, il ne s’agit pas de la brochure d’un centre de thalasso, mais bel et bien des bienfaits du mois sans alcool, exposés dans une étude menée à l’université de Sussex (Grande-Bretagne). Des chercheurs ont suivi 1700 des 3 millions de participants en 2018, et révèlent que la baisse de la consommation pendant une durée courte permet des bénéfices sur le long terme.
Les bars : lieu privilégié des soirées étudiantes alcoolisées. PHOTO Léna Tisserant
Pour Arnaud Muyssen, addictologue au Point Alcool Rencontre et Informations (PARI), le problème actuel ne vient pas de l’addiction des jeunes mais provient “d’un mésusage de l’alcool à type d’Alcoolisation Ponctuelle Importante (API). (Les jeunes) sont en totale ignorance du caractère pathologique de cette situation et des risques réels et importants d’évolution néfaste”. Ainsi, toute initiative conduisant à s’interroger sur la consommation d’alcool est pour lui la bienvenue, le Dry January en faisant partie. D’autant plus que les “différentes dispositions (…) mises en place pour protéger les jeunes de l’alcoolisation (…) ne sont pas toujours appliquées : pas de soirées étudiantes sponsorisées par le lobby alcoolier, pas de vente de boissons alcoolisées à quelqu’un qui est en état d’ébriété, avoir dans les débits des boissons soft attrayantes et moins chères que les boissons alcoolisées…” Les initiatives personnelles seraient donc un bon moyen de remédier à ce dysfonctionnement.
Des solutions légales pour changer les pratiques
En Écosse, où les chiffres de la dépendance aux boissons alcoolisées sont bien plus élevés qu’en France, une mesure a été mise en place en mai dernier : un prix plancher sur la vente d’alcool. Pour lutter contre la corrélation entre précarité et alcoolisme, pour conscientiser la consommation des citoyens, le gouvernement local écossais a déclaré qu’il était interdit de vendre en-dessous de 50 pences (57 centimes) une unité d’alcool. Cette dernière est calculée en fonction de la quantité et de la teneur en alcool des boissons. Premier pays européen à lancer cette initiative, l’Écosse a planté une graine dans l’agenda politique des gouvernements voisins, qui se penchent à leur tour sur la question. Mieux penser la consommation et prévenir l’alcoolisme fait partie des nouveaux défis des sociétés européennes. Individuellement ou légalement, les mentalités évoluent et tendent à faire réaliser que l’alcool n’est pas qu’une fête !
Interview spécial Dry January du patron du bar lillois Le Camden et de deux étudiants. VIDÉO Emma Rodriguez
Pour aller plus loin…
Les périodes consacrées à une cause sont-elles des vecteurs efficaces de changements de pratiques ? L’année civile est remplie de moments dédiés à une cause particulière. Que ce soit pour une journée, un week-end ou un mois, certaines problématiques sont fortement médiatisées à un instant précis. Il existe en effet de nombreuses journées consacrées à une cause telles que la journée de la femme ou encore la journée sans pailles en plastique. Ces événements, comme l’est le Dry January, peuvent permettre à l’opinion publique de se saisir de la réalité d’un problème sociétal. Ceux qui sont à l’origine de ces initiatives ont un objectif clair. Plus que d’entraîner une prise de conscience, le véritable enjeu, à terme, est de changer les pratiques des individus. Néanmoins, on peut se demander si ces périodes ont un réel impact sur les pratiques de chacun. Ces derniers mois, des marches pour le climat se tiennent fréquemment à Lille et un peu partout en France. Mais une mobilisation comme celle-ci va-t-elle réellement influer sur les rejets de dioxyde de carbone des automobiles qui circulent dans la métropole française ? Plus globalement, il semble que ces journées de mobilisations touchent avant tout des personnes déjà convaincues par les causes qu’elles défendent. Même si la médiatisation de journées et de rassemblements de ce type peut permettre d’élargir la sensibilité de l’opinion publique à un défi ou une lutte spécifique, cette surmédiatisation d’un certain nombre d’entre eux en permanence peut entraîner une overdose et une normalisation de ces problématiques à l’égard de l’opinion publique. Les pouvoirs publics, en cela qu’ils disposent d’outils législatifs puissants susceptibles de contraindre les pratiques individuelles, ne sont-ils pas plus à même de répondre à ces enjeux sanitaires et sociétaux ?