Au mois d’octobre, Paolo Cirio a été déprogrammé du Fresnoy. En cause : le caractère provoquant de son œuvre « Capture ». Son art visant à dénoncer s’inscrit dans la grande lignée de l’art militant.
Il y a bientôt deux mois, on a entendu parler pour la première fois du travail de Paolo Cirio. Cet artiste Italien venait de placarder des photos de policiers dans Paris. La réaction de Gérald Darmanin ne s’est pas faite attendre. À peine une semaine après, on apprenait que « Capture », l’œuvre de Paolo était déprogrammée du Fresnoy, le centre d’art de Tourcoing où siège au conseil d’administration le ministre de l’Intérieur.
L’artiste Paolo Cirio devant des collages de son oeuvre Capture. © Julien Pitinome / Collectif OEIL
Cette œuvre, Paolo a commencé à travailler dessus il y a un an. Il a collecté des photos de policiers prises lors de manifestations et les a mises en ligne sur un site où il était possible de renseigner leurs noms. Avec cette démarche, l’artiste a souhaité montrer les dérives possibles de l’utilisation de la reconnaissance faciale, avec l’idée que cet outil puisse se retourner contre ceux qui en font le plus usage. Son but : faire bannir la reconnaissance faciale d’Europe.
«Capture», dans la continuité d’un art militant
À raison d’environ une œuvre par an depuis 2001, Paolo Cirio n’en est pas à son premier coup d’essai. Sur son site internet, on peut voir son impressionnant répertoire d’œuvres. En 2015, il a récupéré des photos postées sur les réseaux sociaux d’officiers haut gradés des services secrets américains, et les a reproduites sur des murs dans les rues. En 2012, c’était des données de Twitter qu’il avait récupérées afin de noter l’affiliation politique d’un million d’américains, son but était de sensibiliser sur le « voter profiling » (l’utilisation des données des internautes pour les influencer dans leurs choix politiques).
Un collage militant sur la précarité des artistes. Le collage est la forme la plus répandue de street art militant, notamment chez les féministes, chez qui des collectifs de “colleuses” s’organisent afin de faire valoir leurs revendications. © Morgan Prot / Archive
Certains le désignent comme un artiste, d’autres comme un activiste. Au travers de ses œuvres, il est évident que Paolo Cirio fait passer des messages. Il dénonce, il critique et veut faire réagir. C’est un artiste qui s’attaque à des sujets aux dimensions politiques, économiques, légales de notre société. Pour réaliser ses œuvres, il a recourt au piratage informatique, aux cyber-attaques, des pratiques que tout le monde ne reconnaît pas comme procédé artistique. Et pourtant, c’est ce qu’il semble falloir pour faire réagir l’opinion publique.
Sticker militant du PCF contre la privatisation d’ADP. Ici, on voit un détournement de l’affiche des “Dents de la mers”. Les stickers militants comportent souvent des dessins afin d’attirer l’œil des passants. © Morgan Prot / Archive
Il y a bientôt un an, l’artiste Piotr Pavlenski faisait la une de la presse française. Désigné par ses détracteurs comme un « activiste », il avait créé en février le site « porno politique ». Dessus, on pouvait visionner des vidéos intimes de Benjamin Griveaux. Ces vidéos du candidat à la mairie de Paris ont fait grandement réagir et ont obligé le candidat LREM à retirer sa candidature. Cette performance avait également ranimé un débat houleux sur la frontière entre l’artiste et l’activiste -le légitime et l’illégitime. L’art activiste, par ses performances, dénonce de manière direct. Il entraîne d’ailleurs souvent des conséquences immédiates.
La provocation, solution pour faire réagir
Dénoncer, c’est l’objectif de Paolo avec « Capture ». Son œuvre devait être exposée dans le cadre de l’exposition Panorama 22 au Fresnoy, dés le 15 octobre. Cependant, Gérald Darmanin en a décidé autrement. Avec la mise en ligne de 4 000 visages de policiers, les syndicats de police ne se sont pas fait attendre et ont vivement critiqué l’installation sur Twitter. Le ministre de l’intérieur s’est lui aussi empressé de réagir, menaçant l’artiste Italien de poursuites judiciaires.
Paolo Cirio : Insupportable mise au pilori de femmes et d’hommes qui risquent leur vie pour nous protéger. Je demande la déprogrammation de « l’exposition » et le retrait des photos de son site, sous peine de saisir les juridictions compétentes.
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) October 1, 2020
Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains de Tourcoing, a finalement décidé de déprogrammer son œuvre à moins de deux semaines de l’inauguration. L’affaire a eu un important retentissement médiatique, et c’est ce qui à d’ailleurs permis de donner tant de visibilité à l’installation.
Un succès malgré la censure
Lorsque nous avons décidé de contacter Paolo Cirio pour avoir son ressenti sur les événements, il sortait fatigué d’une période riche en interviews. Bien qu’elle n’ait pu être diffusée dans son entièreté, sa performance n’a pas manqué de faire réagir. Il nous a d’ailleurs expliqué un peu plus tard son intention concernant « Capture ». « Je n’ai pas fait cette œuvre d’art pour identifier des officiers de police, c’est plus pour provoquer, refléter, révéler, et simuler des réalités. Les provocations à travers l’art sont réussies quand elles choquent le public, qu’elles génèrent des critiques et des réponses fortes pour sensibiliser à des dangers. La prise de risque et la création de menaces lorsque l’on fait de l’art provocateur sont des choses nécessaire pour faire et réussir ce genre d’art.»
■ Angellina Thieblemont
Paolo Cirio : désobéissance esthétique
■ Martin Thiebot
Loi « sécurité globale » : des formes d’art pour les libertés civiles
Dans un contexte tendu, l’Assemblée nationale a voté la loi « sécurité globale ». Entre drones, interdiction de filmer les policiers et nouvel usage des armes, les mesures annoncées y sont nombreuses. Retour sur cette loi tant controversée.
« Stop loi censure globale », « Orwell was right », « la dictature en marche ». Voilà ce qu’on pouvait lire sur les pancartes des opposants à l’adoption de l’article 24. Cette mesure, comme l’ensemble de la loi sécurité globale fait particulièrement débat, et ce au sein même de la majorité.
Initialement proposé par deux députés LREM, le texte n’était pourtant qu’une retranscription législative d’un rapport parlementaire. Le ministre de l’Intérieur l’a largement modifié depuis, y ajoutant de nombreuses mesures censées répondre aux inquiétudes des syndicats policiers.
« Floutage de gueule », l’article 24 fait débat.
Parmi les mesures ajoutées, l’une d’elle est particulièrement discutée. L’article 24 prévoit de pénaliser « d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser […] l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un membre des forces de l’ordre en intervention quand cette diffusion a pour but « qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Cette mesure laisse craindre une impunité des violences policières ainsi qu’une atteinte à la liberté de la presse.
Prévu dans les articles 21 et 22, l’usage accru de la vidéo surveillance par les caméras-piétons et les drones fait également débat. Il en va de même pour l’article 25 qui autoriserait les policiers à conserver leur arme hors service dans un établissement recevant du public. Malgré l’adoption de la loi par l’Assemblée, elle reste controversée. Les opposants multiplient les actions contre cette loi qu’ils qualifient de « liberticide ».
■ Lise Pruvost
Fan du travail de Paolo Cirio ? Offusqué par le risque qu’il fait prendre aux policiers ? On en débat en commentaires !