Reconstruire sa vie après une tentative de féminicide
Maya*, 44 ans, vit depuis deux semaines seule avec ses trois enfants. Elle est en attente de divorce après que son mari a tenté de la tuer. Elle est rescapée d’une tentative de féminicide.
Maya se réveille tous les jours la boule au ventre. Elle emmène ses enfants à l’école, puis rentre à la maison et se retrouve alors seule avec lui. « Lui », comme elle l’appelle durant tout l’entretien, c’est son mari depuis 18 ans. C’est un homme qu’elle qualifie de « gentil à l’extérieur, mais pas à l’intérieur ». Il la frappe, souvent. Les cris alertent les enfants lorsqu’ils sont là. Maya ne veut pourtant pas qu’il s’emporte devant eux : « Je m’en fous, moi, qu’il crie, mais pas devant les enfants. » L’aînée a dix-huit ans. Elle prend en charge sa petite sœur de deux ans et son petit frère de cinq ans bien trop souvent au goût de leur mère.
Le 10 septembre, elle se réveille et commence sa petite routine. Elle passe la journée comme à son habitude jusqu’au moment fatidique. Celui où lui se met à crier. Cette fois-ci, c’est parce que Maya refuse de lui donner de l’argent pour qu’il s’achète de la drogue. « Il a des problèmes d’argent, d’alcool, de drogue. Lui, il veut pas travailler. Il se croit jeune. » Elle est la seule à travailler pour une famille de cinq.
Alors il crie, la frappe, et finalement la menace : « Je vais t’égorger. » Il l’attrape à la gorge et se met à l’étrangler. Le tout sous les yeux des enfants. L’aînée, consciente que la situation dégénère, se rue sur le téléphone et appelle la police. Maya s’extirpe de justesse. Mais lui a « attrapé la petite à la gorge aussi ». Il menace de la tuer si Maya ne se laisse pas faire une bonne fois pour toute. C’est là qu’elle réalise : « Je peux pas rester, il va me tuer. » Elle attrape sa fille, encaissant les coups de son mari, et elle la protège.
La police arrive quelques instants plus tard, escortant immédiatement les victimes à l’extérieur. La voix de Maya tremble un peu au téléphone, elle s’exprime en arabe : « J’ai rien pu prendre, si ce n’est les sacs et les affaires des enfants, et je suis sortie avec la police. » Pour elle, il n’est plus jamais question de retourner là-bas. « Il fallait qu’on quitte la maison le plus vite possible. »
Ensuite, les procédures. Lui se retrouve en garde à vue. Il finit par écoper de huit mois de prison. Elle, va voir l’Aide aux victimes, l’assistante sociale mais ne trouve aucun suivi réel. Sa plus grande ne va plus à l’école. Elle refuse catégoriquement de quitter sa mère qui lui propose d’aller en foyer. Ayant quitté sa maison et sa famille n’étant pas en France, il ne lui reste plus rien. C’est là que le Secours populaire du Nord entre en jeu.
L’association, où elle allait parfois demander de la nourriture et des produits essentiels, lui tend la main lorsqu’elle apprend la situation dans laquelle se trouve Maya. Un particulier y travaillant l’hébergera dans sa propre maison pendant plus d’un mois, du 20 septembre au 12 novembre, sans jamais rien lui demander en échange. Durant ce mois les différents bénévoles aident Maya à trouver un avocat. À le payer aussi. Les papiers administratifs sont mis entre les mains du Secours populaire et les procédures de divorce sont rapidement enclenchées. « Ils m’ont tous aidé », annonce-t-elle depuis sa nouvelle maison. Maya ajoute avec soulagement : « C’est allé pas mal vite avec les papiers. »
Elle continue d’aller chercher les produits de première nécessité dans la boutique du Secours populaire située à Roubaix. Elle sait qu’elle peut compter sur l’équipe sur place si elle a besoin d’aide. Maya a peur que son mari se rende compte qu’elle n’a pas été seule pour se sortir de son calvaire, elle a peur pour elle-même aussi. Néanmoins, elle assure qu’il « ne peut pas m’approcher ni moi, ni les enfants pour l’instant ». Et, entre les murs de la boutique de Roubaix, elle sait qu’elle ne risque rien.
Dans les situations plus dramatiques, celles qui aboutissent au féminicide, SOS Femmes, association spécialisée dans les injustices et violences faites envers les femmes, explique que les enfants sont placés, chez les oncles, les tantes, la famille en général, après une enquête de l’Aide Sociale de l’Enfance. Le père n’a aucun droit sur ses enfants, et ce « s’il ne s’est pas suicidé » ajoute l’association. Aucun suivi psychologique n’a été mentionné au téléphone avec SOS Femmes, ils n’iront pas plus loin dans leurs explications.
Tamara Courtay
REDFLAGS : CES SIGNES QUI MONTRENT QUE VOUS N’ÊTES PAS EN SÉCURITÉ
« Selon elle, elle vivait un conte de fée », « elle dégageait de la joie de vivre », « il était si gentil, on ne l’en aurait jamais cru capable ! »… Tant de phrases que l’on entend au lendemain d’un féminicide. Et pourtant, pourquoi ne pourrait-on pas éviter le meurtre ? Il faut parfois gratter le vernis. Un mari qui envoie des fleurs au travail ne prouve pas son innocence. En effet, la première chose dont il faut se méfier, ce sont les apparences.
Il y a bien sûr des signes évidents comme les marques de coups. Mais les violences ne sont pas que physiques. Il s’agit bien souvent de manipulateurs narcissiques, qui pratiquent des techniques telles que le gaslighting. Dans beaucoup de cas, tout part d’un mensonge ; parfois, un chômage dissimulé ( Affaire Romand en 1993, ou plus local, Affaire Laurence Maille entre 2007 et 2012 ) qui entraîne des problèmes d’argent ; le loyer n’est pas payé, elle découvre qu’il a été renvoyé, le couple se dispute, il frappe, elle meurt.
Si l’on a des doutes, le passé du conjoint peut se montrer révélateur. En effet, s’il a déjà été marié, peut-être que son ex-femme a eu des raisons de se séparer de lui, comme un début de violence. Il y a donc à creuser du côté du casier judiciaire : si certains grandissent après avoir commis certains actes, ce n’est pas le cas de tous et il faut rester vigilent.
Par ailleurs, l’adultère est aussi un signe annonciateur : nombreux sont les coupables de féminicides qui trompent leur conjointe. Ils sont parfois violents aussi avec leurs amantes.
Enfin, il semble important de rappeler que les femmes handicapées sont en première ligne. Selon un rapport de l’ONU, 4 femmes handicapées sur 5 seraient victimes de violences dont de violences conjugales. Il faut donc redoubler de prudence.
Léa Galasse
* prénom modifié pour préserver l’anonymat
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