Pandémie : « Quand l’école tousse c’est la société dans son ensemble qui éternue »
La crise du Covid-19 a renforcé les inégalités entre les élèves des maternelles et primaires. Certains ont dit au revoir à un régime alimentaire sain, n’ayant plus accès à la cantine, d’autres ont pris un lourd retard dans l’apprentissage. Ces deux confinements 2020 ne seront pas sans cicatrices.
L’école, meurtrie par ces longs mois de ralentissement et d’adaptation de l’enseignement, lance son dernier haro résonnant profondément dans la société entière. Aux professeurs de se réinventer, aux enfants de s’évertuer pour se maintenir à flot. Depuis le début de la crise du Covid-19, les victimes ne se comptent plus. Directs ou indirects, les dégâts causés par ce virus sont considérables. Et notamment chez les plus petits, à l’école maternelle et primaire. Si ces enfants sont moins touchés par la maladie, leur vie n’en est pas moins chamboulée. Les confinements successifs et l’absence de rythme scolaire clair ont et auront des conséquences graves sur leur avenir scolaire et leurs capacités sociales. En plus du décrochage – relatif puisque l’école reste obligatoire à cet âge – le confinement de mars 2020 a privé les élèves de maternelles et de primaires de leur enseignement premier et de la vie sociale, si importants à cet âge puisqu’ils conditionnent les bases de l’apprentissage fondamental et de la socialisation primaire de l’enfant.
Pour répondre à cette problématique, Mme Lauwerie, institutrice enseignant en CP à l’école Joliot-Curie de Capelle-la-Grande près de Dunkerque, évoque les conséquences à long terme du retard pris par ses élèves à ce moment charnière de leur scolarité. « Le retard accumulé pendant les deux confinements n’est pas rattrapable », explique-t-elle. Même avec le retour des cours, les enfants sont encore souvent absents pour des cas-contact ou autres raisons liées à la pandémie… Ces absences répétées influent sur l’ingurgitation des informations « notamment pour la lecture qui nécessite un entraînement quotidien et régulier » sans quoi elle devient laborieuse et pétrie de lacunes difficilement abrogeables. La classe de CP actuelle de cette enseignante est en retard sur son programme car il a fallu, en septembre, expliquer aux élèves les carences de l’année de maternelle précédente durant laquelle ils n’ont pas reçu suffisamment d’instruction. Sans quoi l’enseignement de CP aurait été vain.
Ce ralentissement de l’apprentissage chez les élèves de maternelle et de primaire sera préjudiciable selon elle, tout au long de leur scolarité pour les plus en difficultés et les moins accompagnés. Sans parler de l’accès irrégulier au numérique dans les différents foyers, cette thématique met à nouveau en exergue les inégalités sociales et leurs conséquences chez les enfants les moins favorisés qui n’ont pas la chance d’avoir été et d’être accompagnés dans leurs apprentissages primordiaux tout au long de cette crise. C’est la première quinte de toux de l’école.
Sensibiliser les parents
À l’heure d’un retour en classe, le problème des mesures barrières s’impose aux élèves. L’enseignante explique que toutes les règles de distanciation sociale ne sont pas comprises. Les enfants peinent à en saisir la nécessité majeure et donc à les respecter. « Rester éloignés dans les moments de jeux c’est impossible pour eux », affirme-t-elle déplorant de devoir apprendre à ses élèves à ne plus se prêter leurs feutres et à ne pas s’approcher. « C’est vraiment particulier comme changement d’attitude d’enseignement », confie l’institutrice. Le port du masque, lui, est relativement bien assimilé. Mais il gêne dans l’enseignement de la lecture pour cibler les enfants en difficulté sur les sons. Pour pallier ces difficultés d’enseignement et surtout maintenir les élèves à niveau, des ateliers pédagogiques après la classe sont mis en place dans cette école de Capelle-la-Grande, ainsi que des stages de soutien – relativement fructueux – pendant les vacances.
Les enseignements en visioconférence par groupe de niveau ont aussi été testés pendant le premier confinement. Mais ils ne sont applicables et efficaces que si les parents sont acteurs et collaborent. Les instituteurs tentent donc de sensibiliser les parents à leur rôle majeur dans cette crise. Des idées d’enseignements alternatifs et novateurs ont fusé et sont aujourd’hui à l’origine d’expériences d’apprentissage que les enseignants essaient de s’approprier. Parmi elles, l’école en extérieur, censée réduire la sédentarité des enfants, les éveiller à la nature et développer entre autre leur intelligence kinesthésique (celle du corps et des mouvements). Ou encore la méthode Montessori existant depuis longtemps, mais dont les adeptes se sont multipliés depuis peu. Créée il y a plus d’un siècle par une médecin italienne du même nom, elle consiste à introduire plus de manipulations, d’expériences, et de découvertes sensorielles dans l’apprentissage des enfants pour développer leur autonomie, leur curiosité et leur confiance en soi.
Malgré ces initiatives, le problème est très présent dans les écoles maternelles/primaires et plus largement les collèges/lycées puisque la question scolaire dépasse de loin le simple périmètre de l’enseignement. Elle est le rythme de la société, elle cadence les horaires des commerces, des transports et de nos vies à tous. Mais surtout elle forme cette génération d’enfants, futurs adultes. L’école conditionne et guide la vie du pays pour les années à venir : les innovations idéologiques, philosophiques, scientifiques, sociales et sociétales de la France de demain. Ce retard de l’école retentira dans toute la société comme un ajournement de la compétence. Comme disait en septembre 2020, Julien Bisson, journaliste au 1, « Si l’école tousse c’est la société dans son ensemble qui éternue ».
Hélène Charpy
Camille Campan
Une fracture numérique renforcée par la crise sanitaire
Si la réussite scolaire s’effectue au niveau de l’environnement familial de chacun, un autre facteur n’est pas à négliger, surtout depuis le début de la crise sanitaire : l’accès à un équipement numérique de qualité. Les services en ligne se multiplient et s’imposent depuis un petit moment déjà, au plus grand désarroi des anciennes générations. Mais depuis l’épidémie du coronavirus, ce phénomène s’accélère nettement. Il sème ainsi sur son chemin de nombreuses personnes n’ayant pour la plupart soit pas les moyens de se procurer du matériel efficace, soit pas les compétences nécessaires pour s’en servir. Afin d’assurer la continuité pédagogique, de nombreux établissements ont mis en place les cours à distance, dès mars 2020. Il va sans dire qu’entre les problèmes de connexion habituels, aggravés par le nombre de connexions simultanées des autres membres de la famille, et le manque d’équipement, certains étant forcé de suivre le cours sur le petit écran d’un téléphone portable, le distanciel s’inscrit ainsi comme un redoutable instrument de sélection entre les élèves. Selon le ministère de l’éducation nationale, 4% d’entre eux – soit 500 000 enfants et adolescents – auraient décroché pendant la période du premier confinement. Si ce pourcentage n’est pas du seul fait de cette fracture numérique, la crise sanitaire a néanmoins incontestablement renforcé les inégalités d’accès au numérique en France, en s’attaquant notamment à l’éducation de tous
Lou Ballenghein