Éducation aux médias et mutations de la radio, le défi
La fracture entre jeunesse et information traditionnelle semble s’élargir au fil des faits divers. Dans ce contexte particulier, rétablir le contact et le confiance entre les jeunes et l’actualité peut sembler être un pari très audacieux. Pourtant, certains sont prêts à le relever.
Le constat est implacable. Les jeunes sont de plus en plus méfiants envers les médias mainstream. En effet, selon une étude publiée par le journal La Croix, datée de janvier 2019, 64 % des 18-24 ans doutent de la fiabilité des informations diffusées à la télévision. La fracture entre actu et jeunes a ses raisons que le monde médiatique et éducatif semble de moins en moins ignorer. Les initiatives existent, principalement à l’initiative des médias.
Que fait l'Éducation nationale ?
Histoire, géographie, mathématiques, musique, latin, LV3 Chinois, voici un petit aperçu des matières que l’on peut étudier au collège et au lycée. Mais comment apprendre à manier le tentaculaire monde des médias ? Si les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont étudiés durant l’enseignement secondaire, le quatrième pouvoir, celui de la presse, apparaît négligé. Résultat, les jeunes peuvent avoir tendance à se sentir abandonnés face au flux interminable de l’information. Mais face à cela, il existe des solutions. À Arras, Radio PFM a mis en place « Radiolab » en 2019. Il s’agit d’un atelier à destination des jeunes entre 12 et 18 ans. La radio arrageoise leur permet alors de rencontrer des journalistes professionnels afin de créer des émissions de radio. « On leur apprend les dogmes à respecter et comment faire du journalisme. Il s’agit tout simplement d’une éducation au monde journalistique », explique Boris Guyot, journaliste à Radio PFM.
Création de journaux, travail en rédaction, concours de podcast, les jeunes Arrageois découvrent l’envers du décor d’une rédaction. Comprendre les rouages du métier pour mieux l’appréhender, voilà le leitmotiv de cette radio indépendante.
Cette éducation au monde médiatique vient principalement des médias eux-mêmes. C’est le cas par exemple de France Inter. La radio multiplie les partenariats avec des collèges et lycées de quartiers. Montrer le fonctionnement d’une grande radio parisienne et initier à la pratique apportent une plus-value impossible à trouver dans le secondaire. Au programme, sujets de proximité mais aussi des émissions spéciales sur des sujets très sérieux comme les violences policières ou le mouvement MeToo, le tout au côté de journalistes professionnels. « Les journalistes sont nécessaires pour l’éducation aux médias car les profs ne sont pas formés à cela. Le journaliste légitime cette éducation aux médias en les aidant à fabriquer l’info. Nous, on peut juste les aider à développer un œil critique », explique Elena Pavel, professeur d’histoire-géo dans le 19e arrondissement de Paris dont l’une de ses classes a collaboré avec France Inter. « Les attentats contre Charlie Hebdo ont été un déclic pour les enseignants. Ils se sont retrouvés à devoir expliquer ce qu’est une caricature et personne n’était prêt à cela. C’est le rôle des médias de prendre le relais », explique Serge Barbet, directeur du CLEMI (Centre pour l’Éducation aux Médias et à l’Information). L’assassinat de Samuel Paty résonne ainsi tragiquement 2 ans après ces propos. Étonnement, les 18 heures annuels d’Éducation Morale et Civique n’ont pas porté leurs fruits.
La radio fait de la résistance
Malgré son aspect old school, la radio attire toujours les jeunes. Même s’ils sont plus adeptes des réseaux sociaux que leurs aînés, les jeunes ne délaissent pas les ondes hertziennes pour autant. Il s’agit toujours du 3e média le plus suivi selon une étude du CNESCO sur un panel de 16 000 ados de 14 ans. Néanmoins, les modes de consommation sont en plein bouleversement et la majorité d’entre eux déclarent écouter principalement les émissions en podcast « On accorde une grande importance à notre site Internet. On réfléchit presque en permanence à de nouvelles idées pour l’optimiser et le rendre agréable. On sait que de plus en plus de personne consomment nos émissions grâce au site, c’est pourquoi tout est disponible en podcast », détaille Boris Guyot. Et face aux réseaux sociaux, omniprésents dans le quotidien des ados, comment faire ? « Je pense que la radio a de beaux jours devant elle. Beaucoup, gavés par la télé, s’intéressent à la radio. »
Piste abandonnée lors de la conception du SNU (Service National Universel), l’éducation aux médias présente pourtant des enjeux sociaux et politiques intéressants. Lutte contre les fake news ou aides sociales, les bénéfices, notamment dans les banlieues apostats, sont presque sans limites. Et la radio se mute alors en un fantastique laboratoire pour de nombreux journalistes en herbe.
Matthieu Heyman
Au cœur de Radio Campus Lille, quand détermination rime avec adaptation
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L'essor des podcasts
Le podcast ne connaît pas la crise, bien au contraire, il en profite. En 2020, trois fois plus de podcasts ont été mis en ligne par rapport à l’année 2019, avec près de 900 000 nouveaux contenus, selon Chartable, société d’analyse des podcasts. Si les États-Unis dominent le secteur largement depuis des années, cette tendance s’installe de plus en plus en Europe. Qu’ils soient sous forme d’émissions en réécoute ou de podcasts natifs, créés uniquement pour leur mise en ligne sur Internet, le succès est globalisé grâce à un large panel d’atouts.
Le podcast est un phénomène particulièrement représentatif de l’évolution dans les habitudes d’écoute. Accessible 24h/24, il permet à l’auditeur de choisir le sujet qu’il souhaite. C’est justement ce qui faisait défaut à la radio traditionnelle : pour écouter un programme, il fallait se brancher au bon moment. Aujourd’hui, les rediffusions disponibles sur internet ou via les plateformes de streaming permettent d’écouter une émission que l’on aurait manquée ou de la réécouter, et ce à tout moment. Plus spécifiquement, la variété des langues disponibles ne cesse de croître, élargissant l’accès culturel à des horizons plus lointains que nos frontières. La radio a donc dû innover pour continuer à séduire le public.
Pour s’adapter à ces nouvelles habitudes d’écoute, certaines radios françaises se sont concertées pour un nouveau projet au printemps 2021. Radio France, le Groupe M6, Lagardère News, ou encore les Indés Radios collaborent avec la société européenne Radioplayer pour le lancement de Radioplayer France, « une plateforme digitale regroupant l’ensemble de leurs contenus audios ».
Guillaume Dubus