La production cinématographique : reflet d’une époque ?
© Alicia Feras, le cinéma Le Majestic à Lille fermé durant la pandémie
Voilà plus de cent jours que les cinémas, comme tous les autres lieux culturels, ont dû fermer leurs portes pour cause de crise sanitaire. Si l’industrie souffre de cet arrêt d’une partie de son activité, il paraît bon de rappeler l’importance de la production cinématographique en société. Pauline Jannon, jeune réalisatrice de 22 ans, nous partage son avis sur la question.
Nombreux sont les films empreints de réalisme ou, tout du moins, inspirés du réel. Traversant les âges, le cinéma a vu passer devant sa caméra ce qui semble être les événements les plus marquants de ces presque trois derniers siècles. Une question se pose alors : que raconte la production cinématographique de notre époque ?
Des Temps Modernes de Chaplin à Full Metal Jacket de Kubrick, l’industrie cinématographique s’est régulièrement saisie de problématiques sociales et politiques, ouvrant ainsi la réflexion, voire le débat. “Je pense que le cinéma a toujours été assez engagé. Rien qu’en regardant La Nouvelle Vague française ou le néoréalisme italien, c’est un cinéma très politique qui saisit vraiment des phénomènes de société“, explique Pauline. En outre, la production cinématographique évolue et s’empare de nouvelles thématiques. C’est ainsi qu’en 1993, le cinéaste taïwanais Ang Lee réalise son premier film, Garçon d’honneur, première romance entre deux hommes mise à l’écran dans le pays. Avec lui émerge un véritable cinéma LGBT, participant ainsi à la sensibilisation du public à la cause homosexuelle. Autre exemple plus récent qui démontre la manière avec laquelle le cinéma peut agir sur notre façon de concevoir le monde, L’heure de la sortie de Sébastien Marnier sorti en 2018. Traduction des angoisses d’une jeunesse terrifiée par l’idée de voir la fin d’un monde se produire devant ses yeux, le film met en garde face à l’issue de la crise climatique actuelle.
“Je pense que le cinéma a toujours été assez engagé” – Pauline Jannon
Si beaucoup s’accordent à dire que le cinéma peut être porteur de messages forts, il n’est pas nécessairement vecteur de changements. Ainsi, Pauline nuance : “Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que le cinéma, du moins la fiction, peut vraiment changer les choses.” “Après, le cinéma naturaliste [qui se rapproche du documentaire] a pu participer à faire changer certaines mentalités. Je pense par exemple à Ken Loach avec Moi, Daniel Blake, ou Rosetta des frères Dardenne“, ajoute-t-elle. Et pour cause, ce dernier a politiquement inspiré la Belgique et son “Régime des premiers emplois”, autrement appelé “Plan Rosetta”.
Elle-même cinéaste, Pauline Jannon s’est également servie de ses expériences personnelles pour réaliser son premier court-métrage, Demain dès l’aube. D’un constat simple d’étudiante en santé confrontée à la solitude des personnes âgées, Pauline raconte ici le quotidien d’une dame veuve de 82 ans dont la vie n’est rythmée que par la venue hebdomadaire d’un livreur. Une histoire finalement très inspirée et nourrie de souvenirs plus intimes : “ça me tenait vraiment à cœur d’en parler“, insiste Pauline.
Bien au-delà du contenu, la production, ou non, d’une œuvre cinématographique en dit long sur l’époque. Entre autres, l’accès même aux financements peut désormais déterminer la réalisation d’un projet. En cette période particulière traversée par la crise sanitaire, la réalisatrice dit ainsi remarquer une plus grande frilosité des sociétés de production qui n’allouent plus forcément de budgets aux productions alternatives. Preuve, une fois de plus, que la culture dépend encore de facteurs économiques.
Marine Evain
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La contre-attaque du cinéma indépendant : les plateformes alternatives ?
Pour les jeunes, les plateformes Netflix, Prime Vidéo ou Hulu ne sont plus à présenter. Il aura suffit d’une pandémie pour faire de ses plateformes les mécènes de la production et de la diffusion cinématographique en 2020.
Avec la fermeture des cinémas et des festivals, les plateformes de vidéo à la demande sont rapidement devenues l’unique moyen pour diffuser un film, une série ou un court métrage. Dans un secteur sous assistance respiratoire, accompagné d’une consommation des films et séries devenue presque industrielle par nos sociétés. Pas facile pour les petits du secteur d’exister parmi ces mastodontes du divertissement.
Le problème c’est l’effet “mainstream” des grandes plateformes. Pour plaire à un maximum de consommateurs, le contenu proposé subit au préalable un calcul coût/avantage. Ce calcul marque la fin du contenu audacieux et privilégie des réalisateurs, acteurs déjà connus et synonyme de sécurité.
Mais depuis peu, des plateformes alternatives émergent afin de réunir les acteurs indépendants du secteur. L’idée est de mettre à l’honneur les petites productions. C’est le pari de la plateforme Brefcinema.com qui propose un abonnement mensuel pour découvrir chaque mois des courts métrages exclusifs réalisés par des jeunes talents. Côté long-métrage, la plateforme MUBI se place comme un leader du cinéma d’auteur. Ce service base sa réussite sur un catalogue exigeant qui vise à promouvoir les contenus audacieux. L’objectif est de positionner son offre à l’attention des cinéphiles à la recherche d’originalité et de nouveauté.
Finalement, l’existence de ces plateformes alternatives qui privilégient la qualité à la quantité interroge le fonctionnement des plateformes “mainstream”. Mais aussi notre rôle en tant que consommateur, éternel insatisfait de production sans intérêt.
Loïc De Boisvilliers