Le street art ouvre ses portes pour parler société
SamiOne et Logick, deux artistes du collectif Renart, sont de bons marqueurs de leur époque. Ils peignent, sur les murs de la métropole lilloise, des œuvres engagées, tant dans le fond que dans la réalisation. Les deux trentenaires sont aujourd’hui invités dans des ateliers tandis qu’ils devaient auparavant s’exercer dans l’ombre et l’illégalité.
Ce jeudi 14 octobre, la toile de Banksy La Fille au Ballon a été revendue pour 21,8 millions d’euros, malgré sa destruction partielle il y a trois ans durant sa première enchère. Cet événement, aussi surprenant qu’il puisse paraître, n’était pas vide de sens, montrant ainsi un côté si méconnu du street art. Cet art, que l’on ne connaît pas bien mais qui nous intrigue tant. SamiOne et Logick, les deux artistes côtoyant au quotidien cette forme d’expression, tombent d’accord sur l’imprécision du terme “street art”, qu’ils ne trouvent pas en adéquation avec ce qu’ils créent. Ainsi, les désigner comme artistes peintres leur semble plus juste, étant donné qu’ils ne font pas des graffitis mais des œuvres à part entière, et pas seulement sur des murs. Celles-ci sont un bon marqueur de la volonté d’expression des artistes, une expression visible par tous et par conséquent libre… mais pas vraiment.
L’utilisation de cette forme artistique est un thème récurrent, car elle est davantage considérée comme hors-la-loi. que comme un moyen d’expression et de transmission de messages. Les artistes ont beau défendre leur liberté d’expression, hors des murs et des cadres habituels, ils sont tout de même soumis à une pression judiciaire. SamiOne explique que maintenant, la police peut passer devant un artiste en création sans s’arrêter, tout simplement parce que le street art est de plus en plus toléré, surtout lorsqu’il est fait sur des bâtiments à l’abandon. Cependant, il confie aussi se retenir quant à la création sur mur, car leur “liberté d’expression est quand même limitée“. Pourtant, la vision de la société sur ces artistes a bien évolué depuis leurs débuts.
Les artistes ont toujours été des marqueurs de leur époque, des bons moyens de représenter la société dans laquelle ils vivent et de mettre en lumière les problèmes qu’ils rencontrent. Aujourd’hui, le street art marque une nouvelle étape dans la transmission par les artistes. Ils créent en fonction de l’actualité, de leurs problèmes et inquiétudes. “On ne dessine pas des gens nus et heureux sur une plage !“, lance SamiOne. Ils pourraient, mais Logick, le portraitiste, affirme que ce n’est pas leur volonté.
Leur but est de dénoncer. SamiOne, réfléchit à un projet sur mur, créé pour l’instant surtout sur toile, qu’il qualifie de chronique picturale, où il traitait de sujets tels que les gilets jaunes, en dénonçant également les violences policières. Il a en tête de nouveaux projets, il aimerait aborder la question de l’Afghanistan ou des Ouïghours qui “sont en train de mourir sans qu’on en parle“. Cependant, il explique que des sujets trop actuels et polémiques sont forcément plus difficiles à mettre en œuvre, à cause des contrôles plus importants. Mais alors se pose la question de l’évolution de l’art. Certes, les modes d’expression sont plus variés, mais les artistes n’en sont pour autant pas moins contraints.
Pourtant, dans l’imaginaire collectif, le street art rime avec liberté, de l’art hors des cadres. Effectivement, cette forme artistique est accessible à tous. Il suffit simplement de sortir dans la rue et d’observer ces œuvres temporaires dans nos vies urbaines. Tandis qu’il faut payer pour visiter un musée, le street art nous offre son spectacle gratuitement, son enseignement et sa culture.
En parlant d’évolution, en voilà une majeure : celle de l’enseignement du street art ! Les artistes le pratiquant, il y a peu de temps cachés, pour certains toujours dans l’ombre d’ailleurs, commencent à sortir du placard. L’époque où ils étaient relégués au second plan est révolue, ils sont maintenant même les invités d’honneur. Grâce au collectif Renart, Logick et SamiOne peuvent participer à des ateliers, durant lesquels ils transmettent leurs techniques et leurs messages. Ils animent ces ateliers auprès de jeunes de centres aérés et d’écoles. Mais pas seulement !
Il leur est arrivé de se rendre dans la maison d’arrêt d’Arras afin de décorer les murs, la cuisine et rendre le quotidien des détenus un peu moins morne par exemple. Ces ateliers leur apportent beaucoup. Sami One sourit à leur évocation : “Moi ça m’a apporté ma vocation, je ne serais pas là sans les ateliers.” C’est en effet au hasard d’un atelier à la bibliothèque de sa ville que l’artiste a fait connaissance avec le street art. Il affirme : “Je ne crois pas qu’on choisit le graff’, il s’impose à nous.” Logick, quant à lui, aime ce contact avec les jeunes, pouvoir leur donner des conseils et pourquoi pas “leur faire gagner du temps” en leur faisant trouver leur vocation dès le plus jeune âge. Il s’amuse aussi en émettant le désir de laisser une partie de sa touche personnelle chez un futur artiste : “Imagine si je tombe sur un graff’ avec mon style un jour !“. Les artistes espèrent également aider des jeunes en difficulté, afin de les stimuler et de leur montrer un autre chemin d’épanouissement.
Maëlys Meyer
Des portraits de femmes au cœur des Bois-Blancs, rencontre avec Mathilde Malapel
Artiste depuis plusieurs années, Mathilde Malapel s’est tournée vers le street art pendant la période de confinement, pour récréer du lien notamment avec les habitants de son quartier.
Zoom sur... L'incroyable histoire du Street Art
Un art récent ? C’est une idée que l’on se fait de ces fresques murales que l’on croise au détour d’une rue, mais ces œuvres ont belle et bien une histoire et ne datent pas d’hier ! Depuis le XXe siècle on a vu apparaitre des fresques souvent politiques, affichées à la vue de tous, faisant office de propagande.
Au Mexique par exemple, on trouve encore des peintures murales datant de la révolution de 1910. Elles symbolisent le début du street art et montrent à quel point la volonté de ces artistes était d’ores et déjà de faire passer un message par le biais d’une œuvre artistique accessible à tous.
Dans la chronologie des mouvements artistiques reconnus, le street art naît officiellement dans les années 1960 aux Etats-Unis, où cette pratique est démocratisée et ce terme est inclus dans le vocabulaire de l’art.
Un art interdit ? C’est l’aspect du street art qui peut lui donner du sens pour certains et en rebuter d’autres. Certes, l’appropriation d’un espace public va à l’encontre de la loi, mais pour avoir la liberté de s’exprimer, et de dévoiler au monde son talent, ses idées, son art, ces artistes prennent le risque et jouent avec cette limite de l’illégalité.
Un art éphémère ? Caractérisées majoritairement par leur aspect éphémère, les œuvres de street art n’ont pas de durée d’affichage précis. Elles sont parfois effacées ou d’autres œuvres s’accumulent par-dessus, mais c’est là tout l’intérêt. Quant à la durée au long terme de ce courant, il ne devrait pas s’essouffler de sitôt car cela fait des décennies que des artistes s’imposent dans cette catégorie comme Keith Haring ou bien Jean-Michel Basquiat.
Elsa Rolland