Les Bureaux du cœur : « Un sas entre précarité et vie meilleure »
Pierre-Yves Loaëc est directeur de l’agence de communication Nobilito de Nantes et membre du CJD (Centre des Jeunes Directeurs d’entreprises). Depuis 2019, à son initiative, l’association Les Bureaux du cœur propose à des entreprises de mettre à disposition leurs locaux la nuit et le weekend pour des personnes précaires afin de soutenir leur réinsertion dans la vie active. Une aventure innovante en plein développement, qui montre déjà ses résultats.
Tout a débuté en 2017 quand Pierre-Yves Loaëc croisait chaque matin, une femme endormie dans un parking à proximité de son bureau. L’hiver s’installait, le chauffage était continuellement allumé dans ses locaux professionnels, pourtant inoccupés la nuit. À Nantes quelques milliers de personnes vivaient en situation de précarité et déjà 47 associations étaient sur le front pour venir en aide aux sans-abri : que pouvait-il faire concrètement pour améliorer cette situation ? Ne possédant que son entreprise et son logement personnel, il entreprit des démarches auprès d’associations, afin de proposer la mise à disposition de ses locaux vides la nuit. Après avoir trouvé d’autres entrepreneurs potentiellement hôtes et des associations partenaires, l’aventure des Bureaux du cœur a débuté.
Une logique de tripartite
Dans un premier temps les associations partenaires qui travaillent pour la réinsertion sociale des sans-abri « sélectionnent » une personne volontaire. Un choix pénible pour les membres des Bureaux du cœur mais nécessaire : « La personne accueillie, qu’on appelle l’invité, doit déjà être dans une forme de rebond social », indique l’attachée de presse bénévole Amandine Perraud.
En parallèle, l’entreprise hôte aménage ses locaux pour accueillir convenablement l’invité. La mise en place d’un coin nuit, d’une cuisine et d’une armoire construit à petite échelle un lieu de vie favorable à la création d’une intimité. L’invité doit respecter certaines règles, notamment celle des horaires : arriver entre 17 et 18 heures afin de prendre possession des lieux mais aussi être levé et prêt pour l’arrivée des collaborateurs le lendemain matin. Mais il ne disparaît pas avant l’arrivée de ceux-ci. Il partage avec eux un moment de convivialité autour d’un café. Ensuite, l’invité dédie sa journée, avec l’aide des associations partenaires, à ses démarches de réinsertion (cours de langue, construction de son CV, recherche d’un emploi).
L’invité n’est plus pénalisé dans ses démarches de réinsertion par la recherche quotidienne de logement d’urgence. Grâce à l’entreprise hôte, il a l’esprit libre et peut poursuivre son ascension vers la réinsertion.
La condition de cette réussite est la réelle coopération entreprises-associations car le logement seul n’est pas l’objectif des Bureaux du Cœur : « Nous ne sommes pas la solution au mal logement général en France. Surtout que l’hébergement d’urgence n’est pas une solution pour sortir de la précarité. On s’identifie plus comme un sas temporaire entre la précarité et une vie meilleure », explique Amandine Perraud. C’est bien la combinaison d’un accompagnement social et d’une solution d’hébergement qui conduit les invités vers une réinsertion réelle et à long terme.
Des résultats encourageants
Pouvoir dormir seul, avoir son espace personnel mais surtout être dans un cadre professionnel n’est pas sans effet : « L’environnement de l’entreprise mine de rien créée une dynamique chez les invités de vouloir s’en sortir. Il bénéficient en plus des contacts, du réseaux des patrons » conclue l’attachée de presse. On est loin des logements d’urgence surpeuplés qui laissent peu de chance aux sans-abri de se réinsérer socialement. L’association est encore très jeune mais c’est un sans-faute ! Leur rôle de sas est bel et bien fonctionnel. Une centaine d’entreprises ont contacté l’association pour devenir hôte à leur tour, chaque personne hébergée a pu rebondir socialement que ce soit par l’obtention d’un emploi ou même d’un logement.
Noa Perret
ZOOM SUR...
Ces habitations sans habitants, le fléau français des logements vacants.
Alors que des hébergements d’urgence surpeuplés tentent d’accueillir près de 300 000 personnes sans domicile fixe, 3 085 000 logements sont vacants en France. C’est un constat dressé par l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) dans une enquête publiée le 9 novembre 2021. Il y a donc dix fois plus de logements disponibles que de personnes à la rue et, à l’approche de l’hiver, cela fait froid dans le dos.
Autant de logements vides et tant de problèmes d’accès au logement, la situation semble pour le moins paradoxale. La vacance recouvre des causes multiples, le logement peut être en attente d’occupation, proposé à la vente ou à la location, ou en attente de règlement de succession. Il n’est pas forcément immédiatement habitable, l’INSEE comptabilise les logements à réhabiliter. En théorie, un logement vacant peut être réquisitionné par l’État. La première procédure est issue d’une ordonnance de 1945 et prévoit la réquisition de logements pour faire face aux pénuries de l’après-guerre. La seconde est instaurée par la loi du 29 juillet 1998 mais ce n’est qu’en 2018 que la loi ELAN la modifie pour permettre la réquisition de locaux vacants au motif de l’hébergement d’urgence des sans-abri.
Force est de constater que l’application de ces lois reste lettre morte. En juillet 2021, le gouvernement a mis en place un Plan national de lutte contre les logements vacants. Il a pour objectif « la remise sur le marché des logements durablement vacants en développant également les solutions incitatives ». Le nombre de personne à la rue augmente et de nombreuses associations demandent plutôt l’application réelle de solutions coercitives pour rééquilibrer la balance alors que L’île de France compte, à elle seule, près de 395 600 logements inoccupés.
Olga Poyet.
Vidéo : Les sans-domicile fixe, objet de discours politiques.
Pablo Perez