La jeunesse lilloise se mobilise jour et nuit pour lutter contre le système
Posted On 24 avril 2023
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Mardi 4 avril, 20h30. Cela fait une semaine que des étudiants lillois ont lancé “l’occupation” du Théâtre des Passerelles, sur le campus Pont-de-Bois. La crise sociale actuelle, liée à la réforme des retraites, serait la cause de cette mobilisation inédite.
Ce soir-là, ils sont près d’une trentaine d’étudiants à faire des va-et-vient autour de la table centrale. Le Théâtre des Passerelles appartient à l’Université de Lille, il est d’ailleurs collé aux salles de cours et voit chaque jour passer des centaines d’étudiants. Les étudiants mobilisés se sont approprié cet espace de la fac avec respect et sans dégradations du mobilier. Dans quelle optique occuper jour et nuit cet endroit est un moyen de porter un message ?
Karma*, étudiante en histoire au sein de ce campus, considère que dans les récentes luttes sociales, “les universités ont été un moyen fort de parole, d’ouverture d’esprit. En faisant des actions directes comme en occupant, en bloquant la fac, c’est le meilleur moyen que l’on ait trouvé pour se faire entendre. Ça montre qu’il y a une force étudiante qui se mobilise pour porter des revendications”. Néanmoins, ces dernières ne sont pas clairement définies. Karma juge qu’au sein de leur groupe “la réforme des retraites prend trop de place et occulte la question de la précarité, de la réforme des bourses, des logements étudiants”. D’autres problèmes qu’il ne faut pas perdre de vue.
Une “cohabitation” plutôt qu’une occupation
Elec*, un des rares non-étudiants, a décidé d’intégrer le groupe lors du deuxième soir de mobilisation. Il préfère employer le terme de “cohabitation” à celui d’occupation. “On laisse les lieux ouverts à tout le monde et n’importe qui peut y accéder (…) Toutes les occupations que je connais se sont terminées par des dégradations, des sommes à 700 000 € et là ça change”. Il est vrai que dans la forme cette mobilisation étonne. Chaque soir se tient une ou plusieurs AG, des assemblées générales, où la prise de parole est codifiée, où chacun peut prendre librement la parole. On discute des événements à venir, de la communication sur les réseaux sociaux, de comment organiser l’espace avec des banderoles, des pancartes, comment sensibiliser les gens à leur cause, etc.
Karma comme la plupart des jeunes n’est pas syndiquée. Elle se considère comme une “toto”, une autonomiste. Les “totos”, majoritaires au sein du mouvement, représentent “un courant anarchiste prônant plus d’autogestion, de démocratie directe (…) On s’organise un peu comme on veut. On a un peu chacun notre bord politique avant d’être toto”, analyse l’étudiante. Elec apprécie les actions entreprises par le groupe : “On fait un truc nouveau et tout le monde nous kiffe”. Deux étudiants s’immiscent alors dans la discussion et l’interpellent sur ses propos. “C’est bien beau, on mange des pâtes mais on fait quoi concrètement !? ”
Le mouvement n’avance pas
S’ensuit un débat sur la manière de lutter et l’intérêt d’une telle mobilisation. Pour les deux étudiants, cette “cohabitation” ne mènera à rien. “Vous avez eu quoi depuis le début ? Rien et vous aurez quoi dans trois semaines ? Rien non plus”. Le ton fataliste fait référence aux entretiens que le groupe a obtenus avec Régis Bordet, le président de l’Université de Lille. Aucune décision majeure n’a été prise en faveur de la mobilisation étudiante, le président n’étant pas assez “direct”. Il s’agit pour le groupe de trouver le juste milieu entre une action plus radicale comme des blocages, des actions qui choquent et une action totalement pacifique où règne une sorte d’entente cordiale avec l’Université et son personnel.
Le degré de désobéissance divise donc le mouvement. Mais peu importe les méthodes employées, le groupe reste déterminé comme jamais et continue toujours de “cohabiter” au Théâtre des Passerelles.
* A la demande des personnes citées, les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat.
Germain Davila Cristin
par Théodore Donguy
Dans la cinquième République, l’envergure des mouvements sociaux actuels a peu de précédent. Dans les manifestations qui rythment nos semaines ces deux derniers mois, difficile d’être passé à côté d’une pancarte évoquant Mai 68 : “Mars 23 is the new mai 68” ou encore “Tu nous mets 49.3, on te mai 68.” La comparaison est-elle juste ou c’est un raccourci à éviter ?
Les revendications
Si mai 68 partait de simples réclamations à l’Université de Nanterre (volonté des garçons d’avoir accès aux dortoirs des filles), les mobilisations actuelles relèvent de préoccupations plus larges, de la baisse du pouvoir d’achat à l’étiolement du service public, en passant évidemment par la réforme des retraites. La situation économique était radicalement différente.
Les acteurs
Au niveau des acteurs impliqués, la différence se souligne également. 92% des étudiants mobilisés en 1968 sont issus de la bourgeoisie. Après Nanterre, l’épicentre des révoltes se déplace à la Sorbonne là où en 2023, les mouvements s’enracinent dans les profondeurs de notre pays.
Les actions violentes
En mai 68, l’usage de la force est immédiat. Les barricades sont dressées dans Paris par une jeunesse nourrie par l’imagerie révolutionnaire. Cette année, après plusieurs semaines de manifestations pacifiques, c’est la violence des casseurs qui fait principalement surface. Une violence qui n’est, dans la majorité des cas, pas affiliée au mouvement.
Les médias
En mai 1968, les français ne voient quasiment aucune image des manifestants. Le pouvoir gaulliste contrôle tout l’audio-visuel français, à l’exception de quelques radios appelées “radios barricades”. Aujourd’hui, nous sommes abreuvés d’images en permanence, que ce soit par les réseaux sociaux ou les chaînes d’info en continue qui traduisent souvent une mauvaise réalité du terrain.
Si la contestation actuelle fait resurgir l’historique mai 68, les époques sont bien trop loin pour mettre les deux mouvements dans la même case.
Crédit photo de couverture : Simon Ecotière
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