Depuis 10 ans, une nouvelle génération consciente de la valeur artistique rend ses lettres de noblesses à la musique après deux décennies de consommation effrénée. Le vinyle est réinvesti comme l’incarnation de ces principes qui tranchent avec le mode d’écoute désincarné du dématérialisé. Collectionneurs, disquaires, passionnés ou simples acheteurs donnent un exemple d’un autre rapport au monde.
« Je vois la pochette qui est rigolote, je sors une galette noire, y a les artistes, les titres, je pose le diamant dessus et c’est parti » confie Greg, DJ et disquaire depuis plus de vingt ans. Les années 1990 à 2010 marquent un glissement progressif de la musique comme un élément de consommation classique, porté par les plateformes numériques et leur offre illimitée. Pour Philippe, collectionneur éclairé, Spotify comme les grandes majors de l’industrie musicale ont misé leur stratégie commerciale sur le digital. Selon lui «tu paies un abonnement et tu as le monde à tes pieds ». Les abonnements à bas coût amassent des millions d’usagers et génèrent un bénéfice immense. De cette façon l’écoute se fragmente en simple « son » où le zapping incessant rappelle les réseaux sociaux comme Tiktok qui décorrèle l’artiste de son travail. De plus, les artistes font face à de lourds problèmes de rémunération : 500 streams permettent de gagner 1 euro. Pour Greg, le problème c’est la perte de sens liée à la baisse de qualité et de diversité des artistes proposés par la radio, ainsi que l’amoindrissement de l’importance accordée à l’art par les médias. Mais depuis une dizaine d’années, une nouvelle génération de jeunes, plus conscients de l’impact de l’idéologie capitaliste, choisissent de redonner de la valeur à leurs actes, et ce jusqu’au domaine artistique.
Nouvelle génération, nouvelle philosophie
Le « revival » du vinyle est un phénomène qui ne fait pas l’unanimité chez les spécialistes : il s’agit plutôt d’un retour de la valeur. Greg affirme que « les jeunes ont conscience pour beaucoup que la musique est importante et suffisamment importante pour qu’on puisse l’acheter ». Le vinyle est une manifestation de cet effet : il impose un rituel, choisir un disque, le manipuler, se plonger dans son écoute avec patience, découvrant à chaque passage des détails jusque-là insoupçonnés. La musique c’est la culture : un acte intellectuel qui demande un travail. Le vinyle requiert une démarche car il est possible de ne pas accrocher à certains morceaux, il faut effectuer un travail sensoriel pour rentrer dedans. Après coup, il faut aussi analyser ce qu’on a ressenti, mais aussi ce qu’on n’a pas compris, la déception, l’excitation, etc. Ces jeunes qui réinvestissent le disque ne cèdent pas au culte de l’objet, ils honorent la création musicale dans une relation plus organique et charnelle. C’est un support à hauteur de l’artiste, une petite porte d’entrée vers un monde abstrait de sonorités et d’imagination. Alors à la poubelle les phrases culpabilisatrices et passéistes comme « les jeunes adorent s’immerger dans une nostalgie d’une époque qu’ils n’ont pas connue ».
Longtemps marqué par un élitisme inavoué, le monde du vinyle n’est plus uniquement réservé aux puristes de jazz, punk-rock ou garage à la conquête de pressages très niches. Greg se rappelle ces maniaques « Bonjour, je voudrais le pressage hollandais de 67 » et il est bien content que les choses aient changé « je les ai dégagés de ma boutique et ça les fait chier de plus être une élite ». La génération de disquaire actuelle est bien plus ouverte et souhaite populariser sa passion. Le changement le plus marquant c’est l’arrivée depuis 10 ans des femmes dans le milieu. Un décloisonnement des genres sur l’achat de disque mais aussi dans le monde du mixage. Auparavant beaucoup de femmes ne se sentaient pas à leur place aussi parce que l’offre ne correspondait pas du tout à ce qui leur était réservé d’écouter. Elles ne viennent plus uniquement acheter pour leur mari. En devenant plus autonomes au sein du couple, c’est « bye bye Led Zep et bonjour Elton John ».
Les chanteuses pop sont aussi de la partie
L’industrie vinyle appartient également à une nouvelle génération d’artistes comme Ariana Grande ou Lana Del Rey. Attention, les femmes osent aussi largement afficher leur intérêt pour des groupes dont la fanbase est originairement masculine avec des goûts musicaux plus « hard ». Plus globalement les jeunes cherchent à remettre en état le matériel familial. Une aubaine pour répondre au problème de l’obsolescence programmée des nouveaux modèles. Il reste cependant un défi de taille : le coût. En effet, aujourd’hui les vinyles sont bien plus chers et les premiers à en subir les conséquences sont les jeunes. Antoine, acheteur, explique que les maisons de disques ont connu un âge d’or dans les années 80, une véritable usine à fric. Le problème c’est que maintenant pour gagner de l’argent elles augmentent énormément les prix du disque car les bénéfices produits par les tournées reviennent aux « tourneurs ». Greg prend comme exemple l’album Nevermind de Nirvana : « Il y a 15 ans je l’achetais 6 euros, là c’est 19. »
Par Maëlle Piriou
Vinyle ou streaming : quel support musical pollue le plus ?
Le vinyle connaît un regain de popularité impressionnant : plus de 5 millions d’exemplaires vendus en 2022 en France. Ce secteur a généré 89 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit le double de celui d’il y a quatre ans. Cependant, cet engouement soulève une question importante : quel est son impact écologique par rapport au streaming, aujourd’hui le mode de consommation musicale le plus courant ?
Le vinyle contient 43 % de PVC, un plastique dérivé du pétrole et du sel de mer, connu pour son impact négatif sur l’environnement. Chaque disque pèse 135 grammes et produit environ 0,5 kg de CO₂. En 2022, les ventes de vinyles en France ont ainsi généré plus de 2 000 tonnes de CO₂, sans compter le transport et l’emballage. De plus, leur fabrication repose sur des machines énergivores et des encres à base de solvants, accentuant leur empreinte écologique.
Bien que le streaming semble dématérialisé, son infrastructure repose sur des data centers extrêmement gourmands en énergie. En 2016, la musique dématérialisée a été responsable de 200 000 à 350 000 tonnes de gaz à effet de serre aux États-Unis.
Face à ces enjeux, plusieurs initiatives visent à rendre la production de vinyles plus écologique. En France, M Com’ Musique a innové en 2014 avec le « Vinylgue », un disque à base d’algues. La société britannique Evolution Music développe des vinyles en bioplastique issu de la canne à sucre. Ces disques sont biodégradables, réduisant ainsi leur impact lorsqu’ils arrivent en fin de vie. Bien que ces solutions demeurent marginales, elles ouvrent la voie à des perspectives prometteuses.
En résumé, ni vinyle ni streaming ne sont sans conséquences écologiques. Avec des innovations et des gestes responsables, il est possible d’écouter vos morceaux préférés tout en respectant la planète.
Par Marguerite Lecas
Vidéo : L'Histoire du vinyle en France
Un reportage par Dounia Louvard