Et si on se comprenait mieux dans le silence grâce à la Langue des Signes ?

8,6% de la population française souffre d’une surdité moyenne à totale, selon Santé Publique France. Un handicap silencieux et invisible, aux conséquences sociales bien réelles, qui interroge les paradoxes d’une société se voulant inclusive en matière de communication.

“Le silence est d’or, la parole est d’argent.” Pour Alyson, ce proverbe résonne d’une vérité particulière. Dans l’amphithéâtre F de l’Université Lille 2, elle semble être une étudiante comme les autres. Pourtant, dès que le cours commence, elle dépend d’interprètes en Langue des Signes Française (LSF) pour comprendre l’enseignant-chercheur. Alyson est sourde signante.

Née en 2005, elle fait partie de la génération ayant grandi avec la Loi Handicap du 11 février 2005, lui permettant l’accès à une scolarité ordinaire. Pourtant, malgré l’augmentation du nombre d’étudiants en situation de handicap dans l’enseignement supérieur (cf. Zoom), Alyson, seule étudiante sourde de sa faculté, reste solitaire. Elle décrit sa solitude comme le moyen de fuir l’exclusion qui persiste au milieu des “entendants” : “Dans un environnement adapté, je ne suis pas handicapée. C’est la communication non-adaptée qui nous place tous en situation de handicap.” 

Son cas illustre une réalité bien plus large : la société impose ses normes, reléguant la LSF à une pratique marginale. Si Alyson mesure sa chance d’avoir grandi dans une famille où la LSF est valorisée, ses parents, sourds et nés dans les années 1970, ont subi l’interdiction de la LSF et l’oralisation imposée. Elle contraint les enfants sourds à apprendre à parler, malgré des difficultés patentes, et provoque des retards de développement dans leurs apprentissages primaires.

Alyson, étudiante à l’université de Lille et atteinte de surdité / Crédit photo : Eléa Zervudacki

Un système éducatif qui tente d’être à l’écoute

À l’Université de Lille, Alyson bénéficie d’un accompagnement du Bureau de Vie Étudiante et Handicap (BVEH), qui finance des heures d’interprétariat. Mais, avec seulement 10h couvertes sur 27h de cours hebdomadaires, elle fait face à un dilemme décourageant : suivre les cours sans les comprendre ou s’absenter en comptant sur les notes d’autres étudiants. Aujourd’hui, elle tente de pallier ces lacunes grâce à une application de retranscription en direct, souvent erratique.

Le principal frein est budgétaire. Dans un contexte d’austérité, le budget du ministère de l’Enseignement Supérieur diminue tandis que les besoins en accessibilité augmentent. “Les années précédentes, le budget, donné en année civile, était épuisé dès septembre. Pour maintenir ses engagements politiques, l’Université ajoute l’équivalent, sur son propre budget, pour assurer les aménagements jusqu’à la fin de l’année”, explique Mme Galland Zeggaï, directrice adjointe du Pôle Handicap.

L’inclusivité des étudiants sourds-signants ne se limite pas à un budget. La question est aussi structurelle : une augmentation des interprètes est indispensable. À la faculté, seuls ceux diplômés (Bac+5) peuvent être embauchés. Pourtant, ils jouent un rôle crucial pour Alyson : “Ils sont ma voix, et les mains des entendants.” Frédéric, interprète chez VIA (partenaire de l’Université), explique comment le métier est devenu une évidence, alors qu’enfant, il a été immergé dans des groupes de sourds et a vécu l’inversion du regard sociétal : “Quand je me suis retrouvé dans un groupe où on ne parlait qu’en LSF, j’ai compris que c’était moi l’handicapé, pas eux.” Car, au-delà de ces restrictions financières et humaines, se joue une véritable question de priorités politiques : à quel point la société veut-elle réellement inclure ses citoyens sourds ?

La tablette qu’Alyson utilise pour suivre les cours / Crédit photo : Eléa Zervudacki

Signer pour communiquer avec citoyenneté

Faut-il alors rendre la LSF accessible à tous ? Des initiatives émergent : options LSF au lycée, tutoriels en ligne, formations associatives… pourquoi ne pas envisager des interprètes étudiants-bénévoles dans le cadre de l’engagement citoyen exigé en Licence ?

L’enjeu dépasse le seul cadre universitaire. La Fédération Nationale des Sourds de France milite pour la reconnaissance constitutionnelle de la LSF comme langue officielle, afin de garantir son usage dans les administrations et institutions (santé, justice, éducation). Imaginer des fonctionnaires bilingues en LSF serait un pas vers une autonomie réelle des personnes sourdes. Après tout, n’est-ce pas le rôle des services publics d’être accessibles à tous ? D’autant plus que la surdité concerne bien plus que la communauté sourde de nos jours. En 2022, 50% des jeunes de 12 à 34 ans risquent une perte auditive importante en raison d’une exposition excessive au bruit, selon la Fondation pour l’Audition. La série Skam France illustre cette réalité avec Arthur, un personnage confronté à une surdité brusque et aux limites des prothèses auditives : son robotique, acouphènes ou encore difficulté à traiter les sons comme l’oreille naturelle. Quand tous les bruits se mélangent, le port des appareils peut devenir insupportable et fatiguant. Dans le silence, la LSF mériterait alors d’être écoutée.

“Aujourd’hui, un monde où la LSF serait généralisée reste une utopie.” En sollicitant l’aide d’interprètes pour échanger avec Alyson, on mesure notre propre incapacité citoyenne à rendre la communication inclusive. Dans une société qui débat de l’écriture inclusive pour mieux représenter chacun, pourquoi ne pas envisager la LSF comme une langue universelle, non pas seulement comme un outil d’assistance, mais comme un pont entre les mondes, un pas de plus vers une société véritablement inclusive ?

Gaïa Hauduc-Cordier

Image mise en avant : Eléa Zervudacki

Zoom sur le BVEH et son fonctionnement

Le Bureau Vie Étudiante et Handicap (BVEH) accompagne les étudiants en situations de handicap dans leurs études supérieures, mais pas seulement. Christelle Galland Zeggaï, directrice adjointe du Pôle Accompagnement Individuel, Aide social et Handicap à l’Université de Lille, nous a expliqué le fonctionnement du BVEH dans un entretien.

Effectivement, la partie “Vie Étudiante” du BVEH n’est surtout pas à négliger, ils sont en réalité très “polyvalents” nous lance Christelle Galland Zeggaï. En effet, ils participent aux Journées Immersion Vie Étudiante (JIVÉ), aux MixCités, ils accompagnent les associations étudiantes à monter leurs projets de financements. Ils proposent également des aides sociales avec des prêts d’ordinateurs et des aides alimentaires.

Afin d’obtenir ces aides sociales, Christelle Galland Zeggaï vous invite à vous rendre dans un bureau du BVEH. Ils en possèdent dans chacun des campus de l’Université de Lille. L’accompagnement des étudiants en situation de handicap reste leur principale activité. Nous le comprenons vite quand nous voyons les chiffres des étudiants en situation de handicap bénéficiaire du BVEH. Entre 2018/2019 et 2023/2024, ils ont observé une augmentation de presque 100% pour atteindre 2167 étudiants. La dynamique ne ralentit pas pour le premier semestre de 2024/2025, avec 2374 étudiants, déjà plus que sur toute l’année précédente !

Et pour cause, les aides et les aménagements proposés aux étudiants (interprètes, récupérateurs de cours, preneurs de notes…) ! Pour y bénéficier, la procédure s’effectue en 4 étapes. En premier lieu, un rendez-vous dans un bureau BVEH pour discuter des différentes possibilités. Ensuite, un rendez-vous chez le médecin au centre de santé des étudiants. La demande est transmise à la Commission handicap plurielle d’établissements. Durant cette Commission, les souhaits du médecin sont examinés pour les adapter à la formation, “mais ce n’est pas toujours possible” lance Christelle Galland Zeggaï. Après validation, le BVEH recontacte l’étudiant après avoir obtenu les résultats pour lui communiquer les aménagements dont il va bénéficier.

Antoine Sandraps

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