Rencontrés dans un recoin du sympathique café L’Écart, Emmanuel Bordier (37 ans) et Thomas Debaene (35 ans), deux des cofondateurs de la compagnie de théâtre Les Chiens Tête en Haut, présentent leurs actions. Au programme, différentes missions allant des interventions dans les écoles aux criées au cœur du quartier de Wazemmes. Leur objectif : aider les gens à prendre confiance en eux par la pratique du théâtre et de leurs ateliers.
Une bière brune à la main, les deux comédiens retracent longuement leur passion, devenue leur métier, la création de leur troupe ainsi que son évolution. Fondée en 2012 avec l’aide d’un troisième acolyte, Gilles Verbèke, la compagnie Les Chiens Tête en Haut aide, entre autres, à gagner en confiance par le théâtre. Le nom de leur association s’inspire d’un souvenir commun, celui d’une posture de yoga : le chien tête en haut. Une posture rappelant le côté vivant et bestial de l’animal tout en y mêlant la dignité de celui-ci : « Il y avait aussi l’idée que ça puisse vouloir dire élever l’esprit, la conscience. Et pour nous le spectacle vivant a un peu cette mission-là aussi. Même si on est conscient que ça ne donne pas de réponse, ça aide les gens à se poser des questions. »
Quand le jeu de scène libère la parole
Les bienfaits d’une compagnie comme celle-ci se mesurent bien au-delà de la scène et ouvrent vers un infini des possibles. En apportant cohésion, partage et ouverture sur le monde, elle tisse des liens entre des personnes d’origines, de générations et de milieux différents. À travers l’organisation de diverses actions, la compagnie des Chiens Tête en Haut s’inscrit dans cette dynamique. Des cours donnés dans les établissements scolaires, aux ateliers de rue, la « meute » est partout : ateliers de sensibilisation artistiques, organisation de festivals ou création de spectacles mêlant comédiens professionnels et habitants. Entre 2013 et 2024, la troupe a par exemple mis en place dans les rues de Wazemmes des ateliers de crieurs publics baptisés : « Dépêchez-vous de dire ce que vous avez sur le cœur ». Les comédiens invitaient les passants à leur confier quelques mots, ensuite criés à pleins poumons dans les rues. « À travers nous les gens peuvent se parler et parler au monde », résume Emmanuel Bordier.
Thomas Debaene (à gauche), Emmanuel Bordier (à droite) et leur atelier « Bibliotrek », au Festival des livres d’en haut.
Ces projets, portés par une même envie de relier, contribuent peu à peu à retisser le lien social et à redonner confiance à chacun. Ce lien, c’est aussi une belle rétribution pour les comédiens, une récompense symbolique, certes, mais qui fait chaud au cœur. Ils se nourrissent de cette reconnaissance et développent également leur empathie, leur communication ou leur créativité. Le théâtre devient alors une véritable école du vivre-ensemble où l’on apprend à écouter, à exprimer ses émotions et à outrepasser sa timidité.
« Si tout le monde est ridicule, personne ne l’est » Thomas Debaene
Thomas Debaene affirme ces propos en parlant de son cas : « Je suis un véritable exemple sur pattes de ce que le théâtre a pu donner. Avant de commencer le théâtre, j’étais quelqu’un d’extrêmement timide, complexé de partout, j’avais très peu de vie sociale. Et aujourd’hui je suis comédien professionnel et je transmets des choses à d’autres gens, mon parcours m’a complètement métamorphosé. »
Emmanuel Bordier, de son côté, raconte, avec beaucoup d’émotions, l’histoire d’un garçon timide, qui, lui aussi, a réussi à briser sa chrysalide et à s’épanouir au fil des cours, jusqu’à jouer seul sur scène. Cette transformation s’appuie sur un principe qui lui tient à cœur : « Si tout le monde est ridicule, personne ne l’est. »
L'envers du décor
Malgré ses bienfaits, le théâtre est en crise : coupes budgétaires, diminutions des subventions, augmentations des coûts… Les artistes en souffrent : « On n’a plus l’argent de créer des spectacles que de toutes façons les salles n’ont pas les moyens d’acheter. »
Mais les deux hommes ont une vision plus large, bienveillante, généreuse. Même si le monde théâtral est bousculé et que leur compagnie n’est pas épargnée, l’essentiel reste la pratique collective. Que ce soit par la musique, le théâtre ou le sport, l’important est « d’apprendre à travailler ensemble, de manière collective. »
Damien Lecornué
Photos : Jeanne Sorge
Edito
La fermeture du pôle culturel de l'ULCO
« Toute cette énergie qui avait été mise au niveau de l’apport culturel aux étudiants part en fumée » , nous a évoqué la compagnie Les Chiens Tête en Haut, qui anime des ateliers théâtre à l’Université de Dunkerque. Le 2 septembre dernier, la direction de l’université a annoncé la fermeture définitive de l’entièreté du pôle culturel de l’ULCO (Université du Littoral Côte d’Opale). Cette décision aurait été prise unilatéralement par le directeur de l’université. Tout le budget alloué à la culture devrait finalement aller dans les caisses du BDE pour organiser toujours plus de soirées, d’animations alors que le théâtre pourrait ne devenir qu’un simple lieu de stockage.
Le pôle culturel de l’ULCO, c’est l’organisation de spectacles, d’expositions artistiques…C’est un véritable apport culturel pour les étudiants. L’ULCO permet aux étudiants de bénéficier de services gratuits comme des ateliers ou des stages et en tant que spectateur, ils peuvent obtenir des réductions sur les partenaires de l’université. Mais cette structure est avant tout un moyen de s’intégrer dans la vie universitaire. C’est un lieu idéal pour sociabiliser, portant des valeurs comme l’entraide ou le partage. Sans ce pôle, il risque d’y avoir moins de vie au sein de l’université, la perte d’une réelle dynamique.
Le système est aussi défendu par le corps enseignant qui constate les apports de ces ateliers envers les élèves, puisque cela leur développe de nombreuses compétences (aisance à l’oral, expression des émotions, ouverture d’esprit…), assurant un meilleur confort de travail aux enseignants. Enfin, cette fermeture entraînerait une précarisation des artistes qui perdraient ici une partie de leur travail. Malgré l’indignation de tous les partis (élèves, enseignants et artistes/intervenants), la décision reste, à ce jour, bloquée. Apparemment, dans cette université, on préfère un DJ à Molière et la piste de dance à la scène de théâtre.
À nous tous d’agir en les soutenant, pour peut-être faire changer les choses !
Hugo Petit
Pierre, metteur en scène de théâtre : « En tant qu'individu, je suis responsable de la détresse de l'autre »
Vidéo : Jade Yanelli
Mise en page : Gaspard Proudhon