Offrir son temps libre à des personnes défavorisées en s’engageant dans une mission humanitaire : quoi de plus généreux ? Si l’intention paraît des plus louables, le tout est de s’y prendre correctement, car le tourisme humanitaire semble maintenir une forme de domination occidentale qui perdure depuis l’époque coloniale.
Partons d’un constat positif : 70% des humanitaires en France sont des volontaires, et l’envie d’engagement ne fléchit pas. Cependant, cet élan de bonne volonté contribue progressivement à faire du volontourisme un phénomène en vogue auquel les Occidentaux participent pour redorer leur conscience sociale. Visites de lieux atypiques, découverte de paysages, sans oublier l’« étape solidarité » de type journée en orphelinat. L’amateurisme du secteur fait de l’enfant dans la misère une escale à ne pas manquer, une attraction touristique où chacun repart avec sa photo souvenir. Si le but dissimulé d’une telle initiative est la mention « compétences internationales » sur un CV ou la confrontation à l’infortune pour mieux éprouver son statut de privilégié, l’action est plus déplorable encore que la pauvreté elle-même.
Le tourisme de misère
Les sites internet spécialisés regorgent de photos et de vidéos de « promotion » où de jeunes occidentaux soignent ou donnent des cours à des enfants. Projects Abroad, leader du tourisme humanitaire, se veut attractif avec son « challenge construction en 45 jours » et autres « temps forts du projet Nutrition ». Les rôles s’inversent : le volontaire cherche LA mission humanitaire qui lui correspondra au mieux, faisant de celle-ci une expérience plus narcissique qu’utile. Si ces volontaires partagent leurs exploits sur les réseaux sociaux, leur auto-gratification est révélatrice du complexe du sauveur blanc.
Comment s’engager convenablement ?
Une alternative existe : la solidarité internationale (SI). Rassemblant les actions et les attitudes de prise en compte des inégalités et injustices entre pays pour les combattre de manière solidaire, elle compte des milliers d’associations en France, parmi lesquelles Orth’au bout du monde. Née en 2015 au CFUO (Centre de Formation Universitaire en Orthophonie) de Nantes, elle vise à aider des enfants du monde entier dont l’accès à l’éducation et à la culture est menacé. Juliette fait partie des 9 étudiantes du CFUO à avoir repris les rênes de l’association en 2018. Elle explique : « J’avais appris l’existence de « packs humanitaires » avec 15 jours au Cambodge dans un orphelinat, puis 15 jours en Thaïlande avec des éléphants… Cela me posait vraiment un problème parce que les gens choisissent un pack complet, nourris et hébergés, persuadés de faire le bien. Je n’étais pas fermée à l’idée mais je voulais quelque chose de réfléchi. » Les neuf étudiantes sont parties en mission au Vietnam avec un projet bien précis en tête : agir pour un pays défavorisé mais sans participer à l’incohérence et à l’absurdité des déviances du volontourisme. Mais savoir les repérer n’est pas chose facile : « Il faut bien se renseigner sur les intentions de l’ONG et où va l’argent si de l’argent est demandé. Ce qui est important c’est de vraiment se former avant, de comprendre qu’on n’est pas des sauveurs. Il faut savoir se faire aider par des professionnels qui connaissent les dérives » conseille Juliette.
Juliette évoque également la dépendance à l’Occident de certains pays d’Afrique ou d’Asie ; un véritable rapport hiérarchique dont les Européens sont les seuls responsables. « Je pense que la solution est d’arrêter de vouloir imposer notre vision Occidentale du monde et du savoir, arrêter de se positionner comme des colons du XXIème siècle. On a tout autant à apprendre des pays dans lesquels on fait de la SI. Il n’y a pas un modèle qui prévaut sur l’autre. » indique Juliette. Elle conclut : « On peut, avec toutes les bonnes intentions du monde vouloir aider quelqu’un, une région… et pourtant cela ne signifiera pas que ce que l’on fait est positif. Aider, ce n’est pas forcément faire le bien ! »
Lisa GIROLDINI
Les conseils de l'Organisation française de la coopération internationale
En bref: au Cambodge, le business des orphelinats
Le Cambodge est un des pays les plus touchés par la volontourisme, et a donc vu un véritable marché se développer autour du concept. Les orphelinats et autres structures similaires se développent massivement dans le pays, en dépit d’un nombre d’orphelins stable. Selon l’UNICEF, plus de deux enfants sur trois placés dans ces établissements auraient encore au moins un parent en vie. Derrière ces chiffres, la réalité sordide que causent les vagues successives de volontouristes occidentaux désireux de visiter les orphelinats. Du fait des conditions de vie locales, les familles acceptent souvent d’envoyer leurs enfants vivre dans ces structures dans l’espoir de leur offrir une éducation, un toit et de la nourriture. Les établissements mettent souvent en avant les enfants dans des spectacles et activités diverses auxquelles les volontaires participent dans le cadre de leurs voyages payés en pack. Est alors créée une situation d’exploitation commerciale pure et simple des « orphelins ». En plus de cette facette relativement visible du problème du volontourisme se trouvent les implications pour les développement émotionnel des enfants, qui, orphelins ou non, vivent sans parents, et assistent à un défilé de figures amicales avec lesquelles ils tissent des liens et qui finissent toujours par partir et ne jamais revenir.
Au-delà du problème éthique que posent ces pratiques, le développement local est touché par l’investissement dans des structures qui répondent non pas à un besoin de la population mais à une demande extérieure, celle des touristes occidentaux.
Emile MONCHO
Vidéo par Camille AUBOURG