A chaque nouvelles vacances, différents enjeux se posent à nouveau. Lors de ces périodes de forte consommation en tout genre, de nombreux individus tentent de réfléchir à atténuer leur impact social et environnemental en voyageant autrement. Rodolphe Christin en fait partie, il est sociologue, essayiste et travaille sur le tourisme de masse et ses alternatives.
Qu’attendre de ses vacances ? Souffler, se détendre, profiter de ses proches. Éventuellement partir. Indéniablement, sortir du quotidien. R.Christin interroge notre rapport aux vacances. Rapport traducteur d’une société malade qui contamine la Terre et qui donne l’illusion d’un bien être momentané, surtout nécessaire à la productivité (cf petit encadré fin de l’article). Le sociologue prône alors le voyage, plus humain que le tourisme.
Cette distinction vient de Thierry Paquot, dans son ouvrage philosophique Le voyage contre le tourisme. Voyager implique une notion de respect, d’acclimatation, en opposition au voyeurisme, à la recherche de rentabilité, au sentiment que tout est dû parce que payé et mérité.
Mais alors, comment voyager ? Il s’agirait d’aller à l’encontre de la mise en scène touristique. Il ne suffit pas pour autant de sortir des sentiers battus, l’auteur invite bel et bien à réinventer le voyage. Voyager est une mission, soit redonner avec ferveur la portée philosophique de son entreprise. Voyager c’est avancer avec humilité.
Le voyageur serait invité pas à pas à redéfinir les espaces. La planète n’est alors plus qu’une entité dont les dessins, les causeries et les parfums varient en harmonie. Il est également tenu au voyageur de critiquer la manière dont le monde est superficiellement découpé et dépossédé de son vivant. Finalement, il se doit de recréer du lien, du vivre ensemble. Missionné de donner des couleurs, d’éveiller les sens pour éveiller les consciences.
De son côté, Maira est une étudiante avide de rencontres et d’expériences vivifiantes. Partie trois semaines avec deux amies, elles parcourent la France en sac à dos, munies d’une tente et d’un hamac. Un seul objectif, descendre dans le sud de la France, depuis la Bretagne. Un moyen de transport privilégié, le stop.
Ce qui l’a le plus marqué, c’est “l’effet sac à dos”. Pour elle, “c’est génial, ça permet de créer un lien unique avec les personnes que l’on croise. Parce que au-delà de croiser, malgré le peu de temps, il permet de rencontrer.” La curiosité, l’engouement des gens à l’égard des voyageuses souligne combien l’idée de voyage stimule le sens et laisse la curiosité s’exprimer.
Un voyage ne s’arrête pas aux limites de la sécurité ni du confort. L’immersion est de mise pour l’auteur, ou bien la prise en considération, le respect de l’autre n’est plus. R.Christin souligne, « Une sensibilité touristique se ressource ici tout en restant du bon côté de la frontière séparant le divertissement de la confrontation, la simulation de l’authenticité, le “paradis de l’enfer” ».
Alors, au voyageur de s’ouvrir, de respecter la singularité des lieux visités. D’apprendre et non de chercher à enseigner. De participer à l’expression de la culture. Aujourd’hui, le tourisme renonce à la véritable identité et se cantonne aux stéréotypes recherchés implicitement par les visiteurs. Alors l’auteur invite à disparaître pour écouter, regarder, sentir le monde dans lequel on s’immisce. Laisser ses sens s’étreindre à la spontanéité du vivant, accepter l’expérience en toute humilité.
Le voyage favorise la prise en considération de tous lieux, car il ne se cantonne pas à la destination. En cheminant il s’éveille, se transforme, rencontre. R.Christin est d’ailleurs loin d’être le seul à saisir les bienfaits de ce que l’on qualifie maintenant de slow travel.
Maira et ses compères, grâce à un trajet en stop durant leur voyage, elles ont eu le contact d’un berger dans les Alpes. Elles y sont allées et y ont passé “trois jours incroyables, à rencontrer des bergers, aller chercher des brebis en sortant des sentiers battus, submergées par l’immensité des paysages”. Elle décrit une expérience enrichissante, une immersion dans les joies et les difficultés de l’activité, où les touristes voyeuristes sont plus difficilement tolérés que la venue surprise des trois voyageuses. Le berger semble d’ailleurs avoir grandement apprécié ce moment de partage réciproque.
Finalement, si voyager signifie éveiller ses sens, il n’est pas nécessaire de partir très loin. Le voyage serait l’idée d’aller chercher ce qui n’est pas visible. En changeant les perspectives, en provoquant des expériences singulières et inédites, le voyage donne vie, ouvre la fenêtre et laisse la conscience se dégourdir. Hors des murs du système et des schémas habituels, vous voilà réceptif à un nouvel univers que vous découvrez par vous-même.
Alors voilà, l’auteur souligne que la notion de voyage n’est pas simple à accueillir. Mais les mots de Rodolphe Christin n’ont pas vocation à imposer une manière de vivre et de ressentir, il encourage simplement à repenser en douceur les modes de vie, pour respecter avec sens le monde qui nous accueille, qui vit à nos côtés, qui a déjà vécu ou n’est pas encore né…
Les vacances rassemblent tout le monde sur un même point : la volonté de se ressourcer. En cela, ce précieux temps libre peut être la clé au déploiement des consciences, en la croyance d’un monde plus respectueux, plus vivant, et en résumé : moins mondophage.
Pourquoi R.Christin incite-t-il à tourner le dos au tourisme ?
Comprendre les causes du tourisme de masse.
Pour l’auteur, les vacances répondent à une logique capitalistique car elles sont le repos nécessaire à l’acceptation du système. Elles sont l’illusion orchestrée d’un bien être reposant. Les vacances sont nécessaires à chaque individu, c’est indéniable, mais prisent par la mondialisation comme moyen de générer de considérables profits.
“Nos tourismes sont pensés pour nous mais par d’autres.
Dans ces conditions, notre temps libre l’est-il encore ?” — R. Christin
Tourisme qui engendre d’alarmantes conséquences selon l’auteur.
Le tourisme, de par la mondialisation, l’augmentation du niveau de vie (bien que concentrée sur peu d’individus) et le désir de développement de pays du sud, est généralisé et concerne toute la planète. Ces conséquences sont multiples :
- Renforcement des inégalités
- Dépendance économique des pays en développement
- Désastre écologique (pollution venant des transports, mauvaise gestion de l’eau et des ressources pour répondre à la demande touristique)
- Non prise en considération des lieux visités, réduits à une exploitation touristique individualiste (pas de véritable échange hors les échanges commerciaux, relation intéressée, non fondamentalement intéressante)
- Commercialisation du monde, du vivant, de l’histoire, déshumanisation des échanges …
“Cachez-moi ce monde que je ne veux pas voir, et vivre encore moins : le milieu touristique sert ainsi d’isoloir. Découvrir la réalité, non. L’oublier, oui.” — R.Christin
Camille Lebon
Zoom sur… Le Népal dans le viseurs des Tiktokeurs.
TikTok, réseau social très populaire depuis quelques années, semble renforcer le tourisme de masse. Au Népal, le gouvernement décide d’interdire le réseau social dans certains lieux très touristiques.
Le stupa de Bodnath à Katmandou, ou encore le temple Gadhimai à Bara, affichent désormais des panneaux « Pas de Tiktok » sur leurs terrains. Suite au succès international de l’application, il a fallu peu de temps pour que ces lieux sacrés soient pris d’assaut par les utilisateurs. Des milliers de personnes – plutôt des jeunes – se filment en train de danser devant les monuments. Pour les chorégraphies, les tiktokeurs doivent mettre la musique à plein volume sur leur téléphone.
D’après le gouvernement Népalais, c’est une atteinte à la paix et au respect des bouddhistes venant se recueillir ou péleriner. Ainsi, l’application se retrouve bannie et les utilisateurs sujets à une surveillance.
TikTok est l’une des applications les plus populaires au Népal. D’après un sondage de Nepal Media Survey en 2022, 67% des plus de 18 ans utilisent TikTok. Un chiffre qui à grandement augmenté durant la COVID-19. Après la levée des confinements, les jeunes Népalais ont profité de leur liberté pour créer un nouveau contenu. Les temples sacrés se sont alors retrouvés utilisés comme arrière-plan.
L’interdiction existe dans d’autres pays ; le temple d’Or d’Amritsar, en Inde, prend la même décision.
Tiktok passe de 650 millions d’utilisateurs en 2019 à 1.7 milliards en 2022. Les lieux touristiques du monde entier peuvent s’attendre à une augmentation exponentielle du nombre d’utilisateurs sur leur site.
Bergia Karel