Des contes aux débats, l’art oratoire éveille et implique la jeunesse
Dans notre ère de communication, l’éloquence est un art indispensable que les jeunes peuvent apprendre à manier et incarner pour améliorer leur rapport à la société. Deux figures remarquables de la parole, Emmanuel De Lattre, conteur lillois et Pierre Dhôte, président de la Fédération Francophone de Débat du Nord, racontent tous les bienfaits de l’éloquence.
Réciter des poésies, déclamer un exposé, se présenter… tant d’exercices oraux qui ont implanté chez les jeunes une profonde angoisse. Que cela soit par peur du regard d’autrui, une difficulté à formuler et organiser ses idées ou pour d’autres raisons, passer à l’oral est synonyme de passer à la casserole. Ce complexe générationnel cherche des solutions dans la pratique. Emmanuel De Lattre, maître artisan de la Parole Incarnée et conteur lillois, réalise les vendredis après-midi à l’Université de Moulins des cours dont l’intitulé est « Art oratoire : de l’éloquence à la parole incarnée ». Son objectif est de transmettre aux étudiant.es l’envie de s’exprimer et de se faire écouter. Mais cette éloquence ne doit pas être seulement un but, mais un moyen pour d’autres objectifs, de l’ordre du spirituel. Emmanuel De Lattre explique qu’à l’acte de narration, la personne s’applique à « faire trois fois sens : contenu, direction, sensible ». Pour cela, elle doit jongler entre les outils rhétoriques et la vivacité d’une histoire. Plus concrètement, elle cherche à désigner adéquatement, créer une certaine logique et symboliser ; ce trajet mental amène inconsciemment au façonnage de ses propres idées, à une nouvelle lucidité. Les contes nous sont anthropologiquement reliés, ils sont dans notre essence, nos fondements. Emmanuel De Lattre déclare que les appréhender et les manier à l’oral permet depuis des générations de « nous relier à nous-même, au sein de nos familles et autres villages ».
Interpréter notre réalité
Pour pouvoir reformuler des idées, il faut les avoir intégrés parfaitement. Pierre Dhôte est le président de la Fédération Francophone de Débat du Nord (FFDN), qui regroupe treize associations étudiantes d’éloquence, et il nous parle de ce processus. Lors de ces débats fictifs, les performeur.euses peuvent défendre des arguments avec lesquels ils sont en accord mais aussi en diamétrale opposition, et il faut le faire correctement pour séduire le jury et remporter le débat. Cela pousse à comprendre ce qui est défendu dans tous les camps, sur des questions dont le jeune n’avait à première vue que peu d’intérêt, Pierre Dhôte cite « l’interdiction des jets privés, la suppression du RSA, la peine de mort, le port de l’uniforme à l’école ». L’exercice du débat exige des connaissances fiables, en faits et en chiffres, ainsi qu’une méthode et un esprit critique pour appréhender un sujet.
Mais en réalité, les conversations imprévues sur de telles polémiques peuvent se montrer harassantes, énergivores, et souvent stériles. Cependant, les codes du débat fictif permettent d’améliorer les comportements irritants. Comme principal enseignement, Pierre Dhôte retient que « si tu ne laisses pas la personne dérouler son argument, tu ne pourras pas le réfuter ». Il raconte qu’à ses premières expériences, « tout ce que je voulais c’était couper la parole ». Puis les débats se sont succédé, et il a appris à gérer ses émotions, temporiser, et surtout, écouter autrui. Mais il est à noter que ces débats fictifs sont codifiés, par exemple, si un quelqu’un.e admet « sur ce point là vous avez raison », le jury va pencher pour son adversaire l’interprétant comme un aveu de faiblesse. Dans une conversation réelle, c’est simplement faire preuve de bonne foi.
Inscrire l’art oratoire sur les emplois du temps scolaires
L’art oratoire, bien plus qu’un accomplissement personnel, est une passerelle vers une meilleure compréhension d’autrui, du monde, et ses enjeux. Cependant, il n’est que peu enseigné. Emmanuel De Lattre et Pierre Dhôte s’accordent pour exhorter à la création de cours d’éloquence pour tous et toutes dès l’école primaire. Les inégalités se creusent dès cet âge, en fonction de la classe sociale des parents, qui transmettent un capital culturel plus ou moins important. Pierre Dhôte l’avoue, le débat « c’est une activité bourgeoise », et de nombreuses personnes n’ont pas accès à ces codes et peuvent avoir raison sur le fond mais la forme manque pour l’exprimer. Il est nécessaire de conférer à soi et aux autres le droit à la parole, de s’autoriser à être éloquent, de s’exhaler dans l’art oratoire, et ainsi, la jeunesse trouvera sa voix et pourquoi pas sa voie.
Romane Mercier
Comment devenir un bon orateur ?
Le chemin vers l’art oratoire et l’éloquence est épineux, abrupt, effrayant, mais il n’est pas insurmontable. Nous savons en effet que nombre de ceux qui liront cet article n’ont jamais encore osé se lancer sur les traces d’Hermès (dieu de l’éloquence dans la mythologie grecque). Pourquoi ? Par crainte, crainte de ne pas être à la hauteur, crainte du regard des autres. Mais au Châtillon on pense que chacun devrait avoir sa chance c’est pourquoi on a décidé de vous aider à voir l’art oratoire non pas comme un monstre effrayant à trois têtes qui vous assurera humiliation publique mais comme un moyen de se dépasser. On vous a préparé une série de conseils pour vous aider à vous lancer.
– Tout d’abord : soyez vous-même ! Un bon orateur est un orateur qui n’a pas honte de dévoiler sa personnalité. En s’écartant des sentiers académiques, il laisse place à sa fantaisie, son imagination, son vécu personnel et prend davantage de plaisir.
– L’art oratoire s’accompagne d’une gestuelle précise. Une bonne maîtrise de sa posture est donc essentielle : regarder son public dans les yeux, se détacher du pupitre, utiliser l’espace. Tous ces gestes rendront votre discours plus vivant et permettront au lecteur de rester attentif à vos propos.
– La manière dont l’orateur utilise sa voix aura un grand impact sur l’effet de son discours. Selon sa vitesse, sa tonalité, ses accents. Il faut éviter une élocution monocorde et faire des pauses pour prendre le temps de respirer.
– C’est aussi important de connaître sur le bout des doigts le sujet dont vous allez parler, notamment lors de débat. C’est ici que l’orateur est poussé dans ses retranchement et qu’il doit parfois défendre des idées qui ne sont pas les siennes.
L’art oratoire n’est pas réservé qu’à certaines personnes, tout le monde peut y accéder. Les associations d’éloquence permettent aux jeunes de s’exercer dans des environnements sains et bienveillants, dans le but de travailler ces techniques pour un jour devenir un bon orateur. Au Châtillon on croit en vous !
Gabrielle Martin-Cayol