Alors que l’alimentation peut être remise en question, la démocratie alimentaire s’avère une solution pour favoriser l’accès à des produits éthiques, durables et abordables. Aujourd’hui, une multitude d’initiatives fleurissent en appliquant ce principe. C’est le cas des Paniers Solidaires dans le Vieux-Lille.
Le terme de démocratie alimentaire est utilisé pour la première fois par Tim Lang en 1996 suite au Sommet mondial de l’alimentation. Ce professeur de politique fait le constat que les grands groupes industriels, c’est-à-dire ceux qui possèdent, semblent usurper le droit des gouvernements à définir des politiques et à gouverner. Le citoyen n’a donc plus son mot à dire sur le système alimentaire dont il est maintenant une victime. La démocratie alimentaire est donc, selon lui, une lutte sur le long terme pour permettre à tous les citoyens d’accéder à une alimentation décente, abordable, bonne pour la santé, cultivée et produite dans des conditions de confiance.
Vers une reprise en main citoyenne ?
Jean-Michel est agriculteur-vendeur à la ferme de la Croix Saint-Claude, et tient boutique dans le Vieux-Lille. Sa pratique de l’agriculture intensive le bouleverse, c’est pourquoi il décide de se lancer dans l’agriculture biologique. Son objectif : revenir à la base de l’agriculture, c’est-à-dire ne pas abîmer les terres tout en nourrissant la population. Jean-Michel ne veut pas simplement alimenter la population mais « bien » la nourrir sans que cela soit nuisible pour l’Homme et son environnement. « Au départ, je faisais 5 000 tonnes de pommes de terre, maintenant j’en produis 5 000 kilos mais ce n’est plus la même chose. » Ainsi, Jean-Michel apparaît comme un acteur très important dans la progression de l’initiative des Paniers Solidaires. Cette dernière, lancée en 2018 par l’association Bio Hauts-de-France, rencontre un certain succès dans la MEL.
Une particularité à la ferme de la Croix Saint-Claude ?
L’agriculteur-vendeur a choisi de ne pas faire comme tous les agriculteurs adeptes de ce dispositif et d’adopter une démarche davantage citoyenne. En effet, il a jugé, après des négociations avec Bio Hauts-de-France, que les clients éligibles aux Paniers Solidaires auraient le droit de choisir leurs propres produits à la place de paniers déjà préparés. Une prise de décision payante puisque ses clients sont ravis de cette initiative. « Ce n’est pas parce que l’on est moins riche que l’on a pas le droit de choisir ses légumes ! », affirme t-il avec conviction. C’est à partir de là que le concept de démocratie alimentaire puise toute sa force. En choisissant la composition de leur propre panier alimentaire, les citoyens ne sont plus soumis à la pression des grands groupes agro-industriels. Chaque membre du système alimentaire devient acteur, y compris les clients. Le seul intermédiaire par lequel les clients passent est le producteur, à savoir ici Jean-Michel.
De plus, cette initiative permet de tisser des liens forts entre le producteur et les clients. Jean-Michel connaît par cœur sa clientèle habituelle qu’il tient informée sur WhatsApp. Ce passionné organise régulièrement un coin café où ses clients peuvent discuter et débattre sur divers sujets.
« Le facteur limitant est le budget des subventions »
Jean-Michel Leducq
Pour Patrice Ndiaye, enseignant-chercheur dans le droit des collectivités à Montpellier, « des leviers ne sont pas suffisamment utilisés ». Si la MEL et le département du Nord subventionnent les Paniers Solidaires à l’échelle du département, cela n’est pas vrai partout en France. A Saint-Quentin, par exemple, le budget n’est pas le même puisque les subventions viennent principalement de centres sociaux. Les aides financières pourraient aussi venir des associations ou des fondations d’entreprises. « C’est de la subvention à but social, cela pourrait être fait par n’importe qui. L’argent devient rare, il faudrait peut-être se tourner vers d’autres sources de financement », exprime Jean-Michel.
Enfin, le fait que les paniers alimentaires soient destinés uniquement aux plus précaires constitue une autre limite importante. Ainsi, il faudrait « ouvrir cette pratique à tout le monde », selon Patrice Ndiaye, comme c’est le cas à Montpellier avec la création d’une caisse alimentaire commune.
Baptiste Bleard
Photos Camille Rambault
En savoir plus : Le droit d'être nourri VS le droit à l'alimentation
Contrairement au droit à l’alimentation, le droit d’être nourri répond uniquement aux questions de manque ou de « pas assez » dans le but de ne pas mourir de faim. C’est le système de consommation alimentaire actuellement en place. Selon Patrice Ndiaye, spécialiste en droit de l’alimentation et professeur à l’université de Montpellier, « 80% de nos achats alimentaires sont faits dans les supermarchés». De grands groupes agro-alimentaires favorisent une agriculture intensive et productiviste avec comme seule boussole, le profit. Ce qui omet le fait qu’un produit transformé, qui parcourt le tour de la planète avant d’atterrir dans nos assiettes, n’est pas un bon produit pour la santé de l’Homme ainsi que celle de son environnement. Cette contre-vision, dévastatrice pour l’être humain et sa planète, fait que le droit à l’alimentation doit s’imposer comme une solution.
Le droit à l’alimentation, tel que le décrit l’ONU, a pour pilier le concept de « sécurité alimentaire». Conceptualisé en 1996 lors du « Sommet mondial de l’alimentation », il n’existe que lorsque « tous les êtres humains ont, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive ». Pour se démocratiser, le droit à l’alimentation se manifester à travers des initiatives diverses. Prenons l’exemple des cantines bio de la ville de Mouans-Sartoux. Cette commune de 10 000 habitants sert environ 1 000 repas bio par jour ! Les légumes sont produits par des agriculteurs locaux (25 tonnes par an). En complément, les enfants de la commune azuréenne bénéficient régulièrement d’ateliers culinaires…
Ce modèle se démocratise peu à peu car ce n’est pas moins de 750 communes françaises (Bègles, Briançon ou Lyon…) qui aspirent au 100% bio pour leurs cantines scolaires.
Malo Morice