De la ferme à l’assiette : un combat pour le Bio et la justice sociale
L’émergence de la grande distribution observée à la fin du XXe siècle porte un nom, celui de l’écrasement. La prolifération colossale de ces magasins alimentaires semble avoir réussi son pari : aujourd’hui, 70% des Français font leurs courses en grande surface. Les conséquences sur le long terme de cette effervescence sont bien visibles : entre inéquitable redistribution des richesses créées et anéantissement des producteurs locaux, comment faire face à cet obstacle qui semble immuable ? Focus sur Michel Delille et sa Ferme des Blancs Moutons, parvenus à concilier viabilité économique et alimentation éthique face au monopole de la grande distribution.
A 33 ans, Michel incarne avec conviction cette nouvelle génération d’agriculteurs et d’agricultrices engagés dans la revalorisation de leur métier. Avec son énergie et son sourire contagieux, le directeur multi-casquette d’une ferme familiale à Brunémont convertie en bio depuis 2015 nous explique son quotidien bien rempli et son combat pour une agriculture durable. Face à des exploitants souvent touchés par le mutisme et le désespoir, Michel accepte de se placer en porte-parole : “on est dans un monde où il faut qu’on communique. Mais la bio a un gros défaut : on ne communique pas.”
LE MILIEU ASSOCIATIF, UN SOUTIEN ESSENTIEL AUX PRODUCTEURS
Alors il a fallu se faire entendre. Membre actif de l’association Bio Hauts-de-France, Michel Delille a contribué dès 2018 à la mise en place du dispositif « P.A.N.I.E.R.S » en collaboration avec une AMAP. Créée en 2001, l’Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne incarne un pilier fondamental pour les agriculteurs bio. En commercialisant leurs produits grâce aux collectes, les légumes passent du champ à l’assiette sans intermédiaire. A Quesnoy-sur-Deûle, nous avons rencontré Gautier Michal, qui a choisi d’accueillir l’AMAP du Cœur joyeux chaque mercredi dans sa ferme. Nouvellement porteur du label bio, son engagement associatif lui a permis d’éviter la solitude : “Entre mon installation et ma reconversion, ces associations m’ont suivi, m’ont formé, et m’ont permis de rencontrer des confrères. Ce sont des échanges qui nourrissent.” Pour les étudiants, l’association Les pieds sur terre de l’université de Lille propose aussi ce système de panier pour 10 euros par an. Ces dispositifs, visant à rendre l’alimentation bio et locale accessible à tous, sont un premier levier d’action pour Michel. “La priorité aujourd’hui pour les gens, c’est plus l’alimentation, c’est plus le plaisir de bouche. La priorité aujourd’hui c’est de se faire plaisir. Donc c’est le téléphone, l’ordinateur, la tablette… Le consommateur, à 80%, où est-ce qu’il va faire ses courses ? Auprès de la grande distribution. C’est contre ça qu’on agit, on doit revenir à l’essentiel ; ce dont la bio a besoin aujourd’hui, c’est de consommateurs.” Et pour Michel, la grande distribution est au cœur du problème : “Ils n’ont aucune contrainte sur le bio. La loi EGalim en France, elle marche sur le bon vouloir des collectivités. Certaines imposent 60 % de Bio dans les cantines et d’autres 10 %, ce qui se réduit à un steak végétarien industriel avec un logo bio dessus qui vient d’on ne sait pas trop où. C’est du foutage de gueule. »
UNE NÉCESSAIRE “DIVERSIFICATION POUR ATTEINDRE LA REVALORISATION”
“Aujourd’hui dans ce métier, y’a plus de valorisation. C’est pour ça qu’on est obligé de se diversifier”, déplore Michel. Mais sans s’avouer vaincue, la ferme des Blancs Moutons a agi, en créant son site de commande et de livraison à domicile. En agriculteur 2.0, Michel est sur tous les fronts : en plus du site, il fait les marchés et fournit des magasins de producteurs. Même si “la grande majorité de [sa] vente se fait avec les magasins bio et de détail”, Michel est parvenu – par la diversification de ses modes de vente -, à multiplier ses sources de revenus et valoriser son travail. Et ça marche ! Notre enquête dans les rues de Lille en est un exemple à moindre échelle : sur 30 individus interrogés, 15 disent acheter bio dont 8 directement dans les fermes. De plus, les chiffres concernant la fréquentation des grandes surfaces sont en nette baisse depuis 2018.
MIEUX PRODUIRE POUR MIEUX CONSOMMER
Donner la parole à des producteurs qui voient la terre comme une consoeur et non comme un support inerte à exploiter semble fondamental. L’exemple des solutions de distribution concrètes apportées par Michel Delille face au système productiviste lui permet d’affirmer sereinement : “C’est mon métier, et j’aime ce que je fais. Je n’ai pas la prétention de dire que c’est la solution d’avenir, mais une des solutions, j’en suis sûr, ça l’est.”
3 questions à… Sébastien Florent, conseiller en agriculture biologique.
L’agriculture biologique est un mode de production en prise aux stéréotypes. Mais selon Sébastien Florent, spécialiste grande culture, la conversion au bio n’a rien d’insurmontable.
A qui faire appel ?
« 3 organisations soutiennent les exploitants du Nord en conversion : la Chambre d’Agriculture du Nord-Pas-de-Calais, Bio en Hauts-de-France et A Pro Bio. Elles collaborent avec les territoires, les associations et les élus locaux.»
Quel accompagnement vers le bio ?
« Employé par la Chambre d’Agriculture du Nord-Pas-de-Calais, je conseille les producteurs sur le terrain. Je transmets mon savoir-faire technique et identifie les variétés propices à l’exploitation. Ce système existe aussi pour les maraîchages ou les activités d’élevage. Des formations et des subventions peuvent être proposées par d’autres structures d’aide. »
Passer du conventionnel au biologique : tomber de Charybde en Scylla ?
« Le bio nécessite de la patience : les signes indiquant le fonctionnement d’une rotation s’observent après 5 ans. Cette transition demande un changement de regard sur sa production : on passe d’une considération de la rentabilité par culture à une vision globale et à long terme de son exploitation. Aujourd’hui nos producteurs vivent du bio, surtout s’ils sont bien accompagnés. Ce mode de production n’est par ailleurs pas une option, puisque les enjeux d’écologie et de santé sont trop importants pour le laisser tomber. »
– Mila Houssin
- Pour en savoir plus sur le BIO en France, rendez-vous sur le site officiel de l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique.
- Pour en savoir plus sur le “Slow Flower”
- Pour en savoir plus sur les politiques locales en matière d’agriculture éthique.
– Photos de Dounia Louvard
– Vidéo de Marguerite Lecas