Les librairies, des « commerces non essentiels » à l’épreuve du confinement
Photo de Une par Camille Fraioli
Depuis la fermeture des librairies françaises rendue effective le 30 octobre 2020, les libraires ont dû trouver des solutions alternatives pour continuer à fonctionner. Un enjeu de taille pour un secteur déjà soumis à des difficultés financières et dont les conditions de travail ont été durablement transformées par la crise sanitaire.
28 octobre 2020, 20h13. Au milieu de l’allocution présidentielle d’Emmanuel Macron, la sentence tombe : « Les commerces qui ont été définis au printemps comme “non essentiels“ […] seront fermés. » Cela concerne tous les restaurants et débits de boisson, les discothèques, les salles de sport… et donc les librairies. En revanche, les supermarchés sont dans un premier temps autorisés à vendre des livres en boutique (comme ce fut le cas lors du premier confinement), tandis que certaines enseignes comme la Fnac restent aussi ouvertes au public. Ce n’est qu’au bout de quelques jours, sous la pression des librairies indépendantes dénonçant une concurrence déloyale, que le gouvernement annonce finalement la fermeture des rayons culture dans les grandes surfaces.
Malgré ces mesures compensatoires, un vaste mouvement de protestation s’est déclenché pour demander la réouverture des librairies. Le 30 octobre, le critique littéraire François Busnel lance une pétition dans ce sens, considérant que les librairies indépendantes « jouent un rôle que nul autre ne peut tenir dans l’animation de notre tissu » et qu’elles sont « un des efficaces remparts contre l’ignorance et l’intolérance ». La pétition a depuis récolté un peu plus de 200 000 signatures. Comment en effet décider de ce qui est « essentiel » ou pas, quand des millions de gens sont privés de lecture et que des milliers d’autres risquent de mettre la clé sous la porte ?
Quand la culture fait front
En guise de protestation, de rares boutiques ont alors décidé de garder leurs portes ouvertes pendant le confinement. C’est le cas de Fabienne Van Hulle, qui gère la librairie La Place Ronde à Lille : « C’est une question de “survie” psychologique pour mes clients et pour moi-même. On est tout à fait conscient de cette pandémie. Mais il y a aussi une crise économique et sociale de plus en plus grave », explique-t-elle le 1er novembre à 20 Minutes Lille. Ces libraires réfractaires considèrent qu’après le premier confinement tout a été fait pour respecter les mesures barrières (gel hydroalcoolique, limitation du nombre de clients dans la boutique, etc.) et que par conséquent il n’est pas plus risqué de se rendre dans leur librairie que dans une grande surface classique. Ils ont reçu l’approbation de certains maires comme François Rebsamen (Dijon) ou Nicolas Daragon (Valence) qui ont signé des arrêtés pour autoriser les librairies à ouvrir dans leurs villes, même si la portée de ces décisions reste avant tout symbolique. Les grands prix littéraires ont également témoigné de leur soutien en reportant leurs échéances tant que les librairies ne rouvriraient pas. Cette évolution révèle d’une certaine unité du secteur culturel face à la crise sanitaire, où l’édition et la distribution avance côte à côte pour surmonter cette épreuve.
Car c’en est une, assurément : si la grande majorité des libraires ont accepté de fermer leurs portes, ils ont la conviction d’un manque à gagner évident pendant plusieurs semaines. « C’est un coup dur parce que ça tombe pendant la période des fêtes de fin d’année, qui est une période de forte activité », nous a confié Patrick, employé de la librairie Italiques à Hellemmes.
"Ce n'est pas notre manière de travailler"
Pour sauver les librairies, le gouvernement a sorti de son chapeau une formule magique qui tient en 3 mots : le click-and-collect. Les librairies ont dû adopter en un temps record cette nouvelle méthode de commande en boutique.
Avec, là encore, plus ou moins de difficulté. Alors que certaines boutiques ont un site Internet dédié, d’autres préconisent aux clients d’appeler ou d’envoyer un mail pour passer commande. Des degrés d’automatisation divers qui pourraient favoriser les grandes enseignes, lesquelles bénéficient déjà de systèmes de livraison bien rôdés que tous les libraires n’ont pas les moyens de se procurer.
Le click-and-collect modifie également la manière de travailler des libraires. « C’est un peu fastidieux car on fait beaucoup de manipulation, tout se fait à distance, témoigne Patrick. Ce n’est pas notre manière de travailler que de préparer des colis, or là c’est notre seul rapport au client. » Dans ce nouveau système, la fonction de conseil est quasi inexistante, alors qu’elle fait partie intégrante du métier de libraire tant sur le plan social que financier. C’est également un enjeu important pour les auteurs, puisqu’en l’absence de conseil les ventes se concentrent sur quelques best-sellers au détriment des titres un peu plus anonymes.
Le secteur de la librairie, qui a déjà connu une crise importante au mois d’avril dernier, est aujourd’hui concurrencé par l’influence d’Amazon, que les mesures gouvernementales devraient contribuer à amplifier. Reste que les librairies indépendantes ont pu compter sur le soutien d’une partie de la population qui a volé au secours d’un secteur sinistré. « Si ça peut bénéficier à une prise de conscience collective autour de notre rôle au moins la crise n’aura pas été vaine », abonde Patrick.
La situation des librairies pendant la pandémie pourrait ainsi être résumée par cette citation célèbre du poète français Sully Prudhomme (1839 – 1907) : « Nous sommes au bord du gouffre, avançons donc avec résolution. »
Vincent Marcelin
Zoom : Quels rapports les Français ont-ils avec la lecture ?
Avec l’arrivée d’Internet et du numérique dans nos vies quotidiennes, on pourrait penser que le temps accordé à la lecture dans une journée est beaucoup moins élevé qu’il ne l’était auparavant. Pourtant, une étude réalisée par Ipsos et le Centre National du Livre (CNL) révèle début 2019 que 88% des Français se déclarent lecteurs. Les Français continuent donc à lire !
« Nous pouvons rester optimistes », confie le président du CNL, Vincent Monadé, à France Culture quelques semaines après les résultats de l’enquête. Il faut préciser que la moyenne annuelle de livres lu pour un grand lecteur est de 20 livres (selon le Département des études de la prospective et des statistiques sur les Pratiques culturelles des français). Les Français lisent eux en moyenne 17 livres par an. Mais on remarque surtout à travers cette étude que la lecture doit avant tout être une lecture de plaisir pour les Français qui considèrent en effet la lecture comme un loisirs, au même titre qu’une sortie culturelle.
On peut souligner que c’est le genre des livres choisis qui a évolué. Fini les traditionnels romans de Guy de Maupassant ou d’Albert Camus, qui laissent plus de place aux mangas-comics de Masashi Kishimoto (auteur du manga Naruto) ou aux BD de Science-Fiction. On remarque aussi que les livres de mémoires ou de développement personnel ont beaucoup de succès, notamment chez les femmes. Le livre d’épanouissement personnel de Lena Situations Toujours plus sorti en septembre 2020 a par exemple connu un énorme succès en étant resté plus d’un mois en tête des ventes.
Il faut noter que les plus grands lecteurs sont aussi les personnes les plus âgés de la population : 96% des plus de 65 ans se déclarent lecteurs. Cela peut s’expliquer par la transmission de la pratique de lecture de parents à enfants qui était beaucoup plus présente pour eux que pour les nouvelles générations. Vincent Monadé précise dans la même interview que plus on a accès aux livres tôt, plus on a des chances de devenir de grands lecteurs plus tard. Tout l’enjeu est donc de « lutter contre la disparité de l’accès aux livres » et d’introduire les jeunes à la lecture dès le plus jeune âge.
Lucie Ferré
J'ai testé pour vous: le Click and Collect en librairie
Une vidéo réalisée par ZOË BELLAMY