Les fruits et légumes moches ont trouvé sauveur en Bastien Dognin… et ce ne sont pas des salades
Benoît Chavatte
Posted On 8 février 2021
Voilà plus de dix ans que Bastien Dognin et son ami d’enfance, Olivier Hirel, ont fondé « Les Paniers de Léa ». À l’origine, une volonté de développer les circuits courts dans la métropole lilloise les anime. Au fil des ans, l’entreprise évolue. Aujourd’hui, elle fait du gaspillage alimentaire un de ses combats.
Un port à Lille : étonnant certes, mais bel et bien présent. Pour s’y rendre, il suffit d’arpenter les rues de la ville en direction de l’ouest. Sur le quai, à l’intersection du boulevard de Lorraine avec la rue de Turenne, une chambre de commerce couverte de tuiles en terre cuite indique l’entrée de la zone portuaire. Une fois traversée, une série de hangars où sont stockées des marchandises dominent. Plus loin, en face de la brasserie du Melting Port, bâtiment X, « Les Paniers de Léa ». C’est ici qu’un homme de 40 ans, grand, barbu, cheveux châtains, a monté son entreprise. Son nom : Bastien Dognin.
Redonner du sens à l'alimentation
La fibre entrepreneuriale, Bastien l’a toujours eue. Pourtant, en 2005, il n’est pas prêt à se lancer. Fraîchement diplômé d’une école de commerce, il débute sa carrière dans la finance avant de devenir contrôleur de gestion dans une entreprise de distribution textile. Mais la soif d’entreprendre grandit.
En 2010, « l’envie était trop forte donc j’ai cherché une idée qui ait du sens », explique-t-il. De concert avec Olivier, l’idée germe, l’envie se concrétise. Depuis treize ans, son ami travaille pour une coopérative agricole. Il est frappé par les dysfonctionnements majeurs dans la distribution des produits frais. Bastien illustre : « Un producteur de carottes pouvait envoyer ses carottes dans le sud de la France alors qu’à deux kilomètres de chez lui, un supermarché en vendait en provenance des Pays-Bas. » Olivier veut agir, Bastien veut entreprendre, ensemble ils créent « Les Paniers de Léa ».
Redonner du sens à l’alimentation, telle est la mission fixée. Pour ce faire, ils s’appuient sur des acteurs locaux et engagés. De la vente de paniers de fruits et légumes aux consommateurs à la livraison de corbeilles de fruits au sein des entreprises, les manières d’agir évoluent en dix ans. S’agissant du gaspillage, « on y a toujours été sensible, on a toujours commandé en flux tendu pour éviter les surstocks », se défend Bastien. Jusqu’à ce qu’il décide de s’y engager, pleinement.
Le confinement, déclic de la lutte anti-gaspillage
16 mars 2020 : arrêt brutal de l’activité, une tonne de fruits et légumes sur les bras. La guerre contre le gaspillage débute. Pour sauver les invendus, un appel à la mobilisation est lancé. Il est entendu par plus de 300 personnes. Après cet épisode, Bastien a le déclic : « Pendant le confinement, les producteurs m’alertaient sur le fait qu’ils avaient des poireaux trop petits et qu’ils allaient les jeter. J’ai réalisé que c’était ça le gaspillage alimentaire : beaucoup de problèmes de calibrage et de produits qu’on appelle moches. »
Rejetés, pour leur taille, leur couleur ou leur forme. Pendant des années, ils filent au fond des poubelles. Désormais, ils sont valorisés. Tous les fruits et légumes moches que les producteurs ne vendent pas, « Les Paniers de Léa » achètent. Parfaitement consommables, ils sont ensuite revendus et livrés aux particuliers en points relais et drives itinérants.
Si les retours des consommateurs sont positifs, le chemin vers une alimentation saine et durable est encore long. Bastien avoue lui-même ne pas toujours adopter les bons réflexes. Toute une culture alimentaire est à changer et il est persuadé que la sensibilisation et l’éducation en sont la clé.
Amélie Courtet
Zoom: La société de consommation, à la racine du gaspillage
Chaque année en France, près de 10 millions de tonnes de nourriture consommable sont gaspillées selon les chiffres de l’Agence de la transition écologique, actualisés en novembre 2020. Si le gaspillage alimentaire questionne du fait de son impact écologique, il fait également réfléchir sur notre modèle de société.
Multiplications des promotions pour nous faire acheter en grande quantité, dates de péremption à rallonge, publicités… Tout est fait pour nous pousser à consommer. Nous serions, selon plusieurs sociologues et historiens de la consommation, devenus des « consommateurs-acheteurs » plus que des citoyens. Pire que cela, la consommation serait devenue un véritable moyen de construction identitaire, de baromètre de notre statut social, d’acquisition de plaisir instantané… pour pallier les nombreux maux qui nous agitent. Se faire plaisir en consommant, tel est le nouveau credo post-soixante-huitard aux résonances philosophiques puisque le plaisir paraît dès lors associé à la notion d’achat. Mais c’est aussi la recherche d’une certaine image de marque, d’esthétique des produits (forme parfaite des légumes au profit de leur goût) qui est problématique. La société de l’apparence, permise par l’abondance des biens et services, vient entretenir la société de consommation.
Sébastien Bohler la surnomme “le bug humain” dans son ouvrage éponyme paru en 2019, évoquant les failles de notre cerveau prédisposé à l’instantanéité et la sur-consommation, au détriment de l’environnement. Un cerveau qu’il est toujours possible de réorienter, au même niveau que les structures économiques et sociales.
Léa Bouquet
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