Le freeganisme est un mouvement social et écologique qui consiste à récupérer des produits encore consommables dans les poubelles de grandes surfaces ou autres boutiques alimentaires. A Lille, un collectif met en avant cette pratique et s’en sert pour lutter contre le gaspillage, tout en redistribuant leurs trésors à ceux qui en ont besoin. Il s’appelle les Poubelles en Nord. Par l’existence de ses actions, ce collectif dénonce les incohérences qui hibernent dans la surproduction alimentaire et agit, à son échelle, pour lutter contre celle-ci.
Il ne faut pas compter plus de 5 minutes avant que les premiers intéressés arrivent à proximité de la voiture chargée de provisions. Les deux gérantes du collectif Poubelles en Nord prennent le temps d’installer leur échoppe improvisée, composée de produits prêts à être jetés. C’est en bravant la nuit et le froid du Nord que ce collectif offre chaque mardi, à vingt heures, à une station de métro, du pain, des yaourts et autres denrées, à ceux qui en ont besoin. Une aide nécessaire pour les étudiants, les familles, les étrangers et tous ceux qui ne manquent jamais ces rendez-vous hebdomadaires. Poubelles en Nord est un collectif lillois qui existe depuis déjà plusieurs années. Au départ, ce groupe Facebook servait de point de rendez-vous aux nouveaux et aux anciens qui voulaient pratiquer le freeganisme. Aujourd’hui, il est surtout consacré à la redistribution des produits qui allaient être jetés chez les commerces avec lesquels il est partenaire : on y compte le Fournil bio, une boulangerie, et la Pioche, une épicerie solidaire.
Même si les responsables de Poubelles en Nord sont heureuses de pouvoir offrir ces distributions, elles savent que ce n’est ni suffisant, ni une solution définitive au gaspillage alimentaire. L’une d’elles déclare : « Je suis dans ce collectif parce que sinon je meurs, je dois faire quelque chose dans ce monde qui brûle, même si ça ne représente qu’une seule goutte d’eau. » Elle ajoutera que selon elle, « la volonté individuelle ne suffira pas pour provoquer un changement écologique, l’ambition doit être plus grande, elle doit être politique ».

Photo Brunelle Roman
Gâchis institutionnel
Les supermarchés jettent chaque jour une quantité démesurée de produits. Les raisons sont multiples : packaging abîmé, chaîne du froid brisée ou dates de péremption bientôt dépassées. Tous les soirs, les poubelles débordent de marchandises encore consommables. Par ras-le-bol de ce gaspillage et/ou par manque d’argent, certains décident de franchir les limites de la loi et le grillage du supermarché, pour remplir leurs « frigos » de ces produits. C’est parfois à l’aube, souvent la nuit, qu’on peut les croiser, avant que les camions ne ramassent les ordures de supermarchés, de particuliers ou de diverses boutiques alimentaires. Une des gérantes de Poubelles en Nord revient sur la difficulté d’assumer le regard des autres en adoptant ce mode de vie, « la première fois qu’on met les mains dans une poubelle, ça vous fait un drôle d’effet ». Elle explique, que pour la plupart d’entre eux, être freegan ne relève pas du choix, mais de la survie.
Les crocheteurs de poubelles interviennent souvent en groupe, escaladent, fouillent, récupèrent ce qui devrait être définitivement jeté le lendemain. En agissant ainsi, par contrainte ou par volonté de révolte, c’est le système entier qu’ils remettent en question. Une politique qui encourage le gaspillage alimentaire et ne fait rien pour changer cela. Si les supermarchés jettent autant sans jamais être en déficit, c’est que nous produisons beaucoup plus que ce dont nous avons besoin. La raison ? Un rayon de gâteau est bien plus séduisant pour les acheteurs quand il est rempli de marchandises.

Photo Brunelle Roman
Un mode de vie limité
Pour les responsables de Poubelles en Nord, il était nécessaire de préciser que leurs partenaires sont soit affiliés au label bio, soit ont une dimension solidaire. Un choix qui montre que ce genre d’actions n’est possible qu’avec un certain type de boutiques. Les magasins qui coopèrent avec le collectif de récupération ne font aucun bénéfice financier, un élément qui élimine un bon nombre de potentiels collaborateurs, mais qui oriente résolument leur démarche vers un autre vivre ensemble.
Mélina Fischmann
FOCUS : Qu’en dit la loi ?
Déjà, est ce qu’on a le droit de fouiller dans les poubelles ?
La réponse, généralement, c’est oui. En fait, légalement, lorsque quelque chose est jeté et
entreposé sur la voie publique, il n’appartient plus à personne. On dit qu’il est « res
derelictae ». C’est la première personne qui s’en empare qui en devient propriétaire, et c’est
totalement légal. Cette règle peut varier selon les villes. En effet, les maires peuvent signer
des arrêtés permettant d’encadrer davantage cette activité, comme en créant des sanctions
monétaires. Par exemple, selon Libération, le maire de Nogent sur Marne a en 2011 pris un
arrêté, rapidement suspendu, pour sanctionner de 38 euros les fouilles de poubelles. C’est
rare, mais de telles spécificités peuvent exister. Tout freegan doit donc se renseigner sur les
lois de sa commune.
On a donc le droit fouiller dans les poubelle, et de manière générale de récupérer tout objet
abandonné sur la voie publique.
Mais plus précisément, qu’est ce qui légalement protège les freegans ?
En 2016, la loi Garot interdit aux distributeurs de rendre leurs déchets impropres à la
consommation. Une pratique répandue comme celle de déverser de l’eau de Javel sur les
poubelles des grandes surfaces est donc interdite. Cette loi n’est pas directement liée aux
freegans, mais elle les protège néanmoins, et agrandit leurs chances de trouver des produits
consommables dans les poubelles des magasins.
Ana Delabre
Vidéo Saty Dosso