Etudier nos ressources en eau pour mieux les gérer
En 2020, la France était en alerte sécheresse pour la troisième année consécutive. Dans le Nord, la situation est critique. Le manque d’eau potable est un réel enjeu pour les années à venir, si bien que toute la société doit se concerter et s’organiser pour éviter la catastrophe. Géraldine Colbeaux, hydrogéologue au BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), nous présente les problématiques que soulève la question de l’eau.
Si l’on peut penser que le nord de la France possède des réserves d’eau abondantes en raison de son climat humide et de ses pluies modérées et régulières, qui favorisent le renouvellement des nappes, l’approvisionnement en eau repose en réalité sur un équilibre fragile. L’année dernière, la préfecture du Nord déposait un arrêté sécheresse dès le mois de janvier. L’hiver est pourtant la saison où les réserves d’eau sont censées se recharger. En effet, les végétaux étant endormis, ils n’absorbent plus l’eau et permettent son écoulement vers les nappes souterraines. Avec le réchauffement climatique, c’est tout le cycle qui est déréglé et l’eau a plus de mal à circuler dans le sol, ce qui explique à la fois les inondations et le manque de ressource en eau.
Un équilibre précaire
Pour Géraldine Colbeaux, hydrogéologue au BRGM, la gestion de notre eau est possible grâce à une connaissance pointue des ressources à notre disposition et de nos besoins. Le BRGM, service géologique national, met en place un réseau de surveillance des nappes phréatiques, avec une forte vigilance pour certaines régions. Les chercheurs utilisent alors des modélisations hydrodynamiques, qui permettent d’établir des scénarios sur de longues périodes à présenter aux gestionnaires des eaux.
Lorsque le préfet émet un arrêté sécheresse, il va rassembler ces gestionnaires avec les principaux acteurs de l’eau : l’industrie, l’irrigation mais aussi d’autres secteurs nécessitant de l’eau comme les pompiers, les piscines, les étangs de pêche… et vont ensemble décider quel secteur diminuera sa consommation d’eau. « C’est une gestion de crise, explique Géraldine Colbeaux, il ne faut pas en arriver là. »
Les outils que proposent les chercheurs pour évaluer les rapports entre ressources et besoins dans le temps doivent permettre de trouver l’équilibre qui empêchera la pénurie. « Il faut tester énormément de solutions et les combiner pour arriver à l’objectif », précise la chercheuse. A l’échelle collective, les gestes du quotidien peuvent déjà avoir un impact sur la préservation de la ressource : le jet aéré du robinet est « une innovation toute bête qui permet d’utiliser dix fois moins d’eau quand on se lave les mains ».
"Il faut tester énormément de solutions et les combiner pour arriver à l'objectif"
Les chercheurs travaillent aujourd’hui avec les collectivités, les constructeurs et les agriculteurs pour repenser la circulation de l’eau : des parkings herbés ou pavés permettent d’éviter le ruissellement des précipitations, les agriculteurs sont incités à semer des plantes moins nécessiteuses en eau ou à changer leurs techniques d’irrigation. La mise en place de certains types de sols au bord des chaussées permet même de dépolluer l’eau avant qu’elle rejoigne le sous-sol.
Car aujourd’hui, les préoccupations majeures autour de l’eau concernent surtout la qualité de l’eau potable : si l’eau est abondante sur le territoire français, il coûte très cher de la dessaler ou de la dépolluer. Sur les côtes françaises, un pompage trop important des eaux souterraines engendre un risque de salinisation. Le problème est d’autant plus important que ces zones sont touristiques, et nécessitent donc une consommation d’eau très importante localement et sur une très courte durée, rejetant beaucoup d’eaux usées d’un coup. Dans le nord de la France, c’est le passé industriel de la région qui engendre la pollution des sous-sols. Chaque région fait face à des problématiques différentes. Aussi, il faut revoir l’adaptation de l’eau en fonction des usages.
« A Paris, par préconisation de risques de santé, c’est de l’eau potable qui court dans les caniveaux. […] Aujourd’hui, l’eau de qualité est de plus en plus rare, on n’a peut-être pas besoin d’eau potable pour nettoyer les égouts », avance Géraldine Colbeaux. La prise de conscience semble tout de même commencer à se faire. D’ici trois ans, on pourrait réutiliser de l’eau usée traitée pour l’irrigation, alors qu’on utilisait de l’eau potable jusqu’à présent. La chercheuse déplore tout de même que peu d’éléments concernant l’eau apparaissent dans la loi Climat proposée en février à l’Assemblée nationale. Dans le cadre de la loi européenne, les Etats doivent rendre compte de l’état de leurs ressources en eau, en qualité et en quantité, sous peine de sanction. Chaque pays doit donc diagnostiquer ses ressources et avoir à disposition de bons éléments indicateurs.
Pour les chercheurs, la première condition pour l’équilibre de l’eau est de comprendre comment elle circule sur notre territoire de manière à prédire les évolutions quantitatives et qualitatives que causent l’activité humaine et le changement climatique. Notre mode de vie a des impacts sur l’état des sols, des sous-sols, des océans. Aussi, limiter l’utilisation des produits chimiques est primordial, qu’il s’agisse de pesticides, de détergents, de produits pharmaceutiques qui ne sont pas bien traités dans les stations d’épuration. « Il faut qu’on soit tous en bonne santé et qu’on arrête de prendre des médicaments, il faut qu’on vive dans un pays sans stress, de bien-être… »
Lisa Picot
Explication: La gestion de l'eau dans la métropole lilloise.
Vidéo réalisée par Louis Le Pen.
Zoom sur... la recharge maîtrisée des aquifères
Les sols sous nos pieds renferment des milliers de litres d’eau. Ces eaux souterraines sont contenues dans des aquifères composés majoritairement de gravier, de roche et de sable. Ces zones rocheuses retiennent une grande quantité d’eau en leur sein et permettent de subvenir aux besoins des usines, maisons ou encore des champs aux alentours.
Très sollicitées, ces ressources précieuses sont inégalement réparties sur notre territoire, se renouvellent plus ou moins rapidement et sont tributaires de l’apport des pluies. Résultat de ces limites, plusieurs régions dont l’eau souterraine constitue la ressource principale en eau potable ont pu frôler l’épuisement au cours de ces dernières années lors des sécheresses saisonnières.
Comment maintenir cet équilibre fragile entre nos besoins croissants et le tarissement de l’offre naturelle ?
Un instrument efficace serait la recharge maîtrisée de ces aquifères ou Managed Aquifer Recharge (MAR). Un concept caractérisé par le stockage d’une grande quantité d’eau de provenances diverses en aquifère pour un usage différé. Il peut s’agir de ressources conventionnelles telles que les eaux superficielles ou les eaux pluviales ou non conventionnelles comme les eaux usées ou salines. Ces dernières peuvent nécessiter un prétraitement pour atteindre une qualité d’eau potable, mais l’aquifère joue également un rôle d’épuration naturelle. Un suivi rigoureux de ces eaux s’impose et passe par des systèmes complexes propres aux caractéristiques de chaque site. Il s’agit d’un outil innovant qui pourrait constituer une base indépendante utilisable à l’année.
La MAR suscite l’intérêt de nombreux pays qui, à la suite de réussites d’expériences à grande échelle et à travers l’engouement d’une communauté scientifique active, mènent des politiques volontaristes de développement de ces techniques. En 2018, Stefan et Ansems, du groupe de travail de l’IAH-MAR Global MAR Inventory, recensaient déjà 1 200 exemples de ces systèmes MAR à travers 62 pays. Un succès croissant qui met en exergue des disparités entre pays et qui se révèle doté de certaines faiblesses comme l’absence d’un guide technique au niveau national, des coûts élevés et un développement timide.
Cléa Duplessis