L’art pour réinventer un passé où les femmes ne seraient pas délaissées
Posted On 23 mars 2023
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Et si Romulus et Remus n’avaient pas été recueillis par une louve, mais par une prostituée ? Et si les temples romains n’avaient pas été construits autour de l’idée de puissance et de domination, mais plutôt de légèreté et de respect de l’environnement ? Et si les femmes de l’Antiquité avaient été célébrées pour leur art plutôt que déconsidérées et effacées de l’histoire au fil du temps ?
Jezy Knez, duo d’artistes, Yosra Mojtahedi et Anne-Emilie Philippe sont tous les quatre lauréats du prix Wicar. Ce prix remis par la ville de Lille permet chaque année à des artistes émergents d’effectuer une résidence de trois mois dans l’atelier Wicar, situé au cœur de Rome. Leurs travaux respectifs sont par la suite compilés par un·e commissaire, Marion Zilio cette année, et exposés dans l’Espace Le Carré sous l’angle qu’il·elle leur aura trouvé.
La treizième édition de Format à l’italienne s’interroge donc sur la fondation de Rome en proposant une nouvelle légende, l’Altra Roma, littéralement « l’Autre Rome ». Comme l’explique le texte de présentation, l’Altra Roma est une cité qui « prônait un rapport plus léger à la surface du monde, ses constructions étaient en bois, non par faiblesse mais par choix, son organisation non patriarcale, ni même fondée sur l’esclavage ou la mise au banc des femmes. »
L’aspect utopique de cette revisite du mythe permet un reflet sur l’état actuel de la ville. « Il existe une différente Rome pour chacun·e d’entre nous – impériale, chrétienne, fasciste, européenne, touristique. L’Altra Roma est construite avec nos désirs du présent », explique Jezy Knez. De cette manière, les œuvres font resurgir des défauts du passé qui ont bien souvent eu un impact sur le présent.
Des milliers d’années d’évolution, et pourtant l’architecture des villes reflète encore la domination des hommes sur les femmes (voir zoom) et l’idée de puissance viriliste : à Rome, les temples sont tous plus imposants les uns que les autres, et les cours plus spacieuses pour prouver la supériorité dans la possession. Ornée de parties d’anatomie féminine et masculine en verre soufflé dans lequel coule un liquide blanc, la proposition de fontaine de Yosra Mojtahedi vise par exemple à montrer une alternative à cette architecture.
Les femmes de l’Antiquité ont aussi bien souvent été écartées de l’histoire. Anne-Emilie Philippe est partie à leur recherche dans les rues, les musées ou les bibliothèques de Rome pour tenter de recouvrer leur importance. Exemple le plus parlant : dans la mythologie, Luva a été traduit par louve alors que c’était en fait le surnom de la prostituée qui a recueilli Romulus et Remus, et ce car le symbole de puissance de l’animal lui était préféré (voir vidéo).
« Ce qui est réjouissant pour la suite, c’est qu’on vit dans une période où l’on s’applique à déconstruire cette Rome antique sacralisée », rappelle le duo Jezy Knez. L’exposition propose ainsi de se défaire d’un passé patriarcal, mais aussi guerrier, oppressant et violent, pour prendre du recul sur l’état actuel des choses et rêver à un autre futur, dans la lignée de cette autre Rome.
Anaïs Schaeffer
Pendant longtemps, le monde de l’architecture et du design a été dominé par les hommes. Cette
omniprésence masculine s’est traduite au sein même des éléments de la vie quotidienne, dès les
années 1940, avec le célèbre designer Le Corbusier. Les différentes infrastructures, telles que les
cages d’escalier ou les portes, n’étaient pas adaptés à la vie des femmes de cette époque, qui se
retrouvaient à péniblement manipuler des poussettes, ou des cabas dans des lieux trop exigus.
Cette architecture ne permettaient pas non plus aux femmes de concilier une vie de famille et un
travail, elle les enfermait dans une vie de femme au foyer.
C’est alors que dès les années 1980, plusieurs collectifs d’architectes féministes se sont lancé le
défi de ne plus subir, mais de redevenir maîtres des lieux de vie. Leur but : permettre aux femmes
de mieux vivre au quotidien, en proposant des infrastructures innovantes. Nous pouvons par
exemple citer le collectif anglais Matrix, qui s’est battu entre 1980 et 1995 pour faire bouger les
règles de l’architecture, et même davantage. En effet, ce groupe avait pour ambition d’explorer
les différents aspects de la vie féminine moderne et active, afin de pouvoir proposer aux femmes
des infrastructures, publiques ou privées, qui s’adaptent le mieux à leur mode de vie. Une
manière de concilier avec plus de facilité la vie de famille et la vie professionnelle, comme Le
Corbusier l’avait fait pour les hommes 4 décennies en arrière.
L’architecture n’est pas la première chose à laquelle on pense lorsqu’on évoque la cause
féministe, mais elle est plus importante qu’elle n’y parait. Nous sommes y sommes plongés au
quotidien, et cela devient presque un reflet de nos modes de vies : si l’architecture classique ne
semble pas laisser de place aux femmes, alors ce sont les elles qui viendront s’y imposer pour
faire bouger les choses.
Jade Huart
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