Ben Névert, un youtubeur qui partage ses réflexions sur la masculinité ou son hypersensibilité, a annoncé en septembre 2022 s’être placé derrière la caméra pour réaliser un porno qui sort du cadre habituel. Meilleure communication au sein de l’équipe, authenticité et nouveaux regards, Vrai couple, vrai baise a reçu un accueil très favorable. Entre dérives, plaisir (coupable) et surconsommation, Ben Névert donne un nouveau sens au porno.
Elle. Les cheveux verts tirant sur bleu, vêtue d’un simple soutient gorge blanc. Lui, nu, les cheveux attachés en catogan laissant apercevoir piercings et tatouages. Ce n’est pas la première fois qu’ils se retrouvent devant une caméra, ils se sont lancés pour se libérer de leurs complexes. Mais cette fois-ci, c’est un peu différent. Trois caméras et autant de micros sont braqués sur eux, d’habitude, c’est leur portable, posé sur un meuble qui capte leurs ébats. Le lit sur lequel le couple est assis est recouvert d’un drap gris. Ils sont entourés de deux plantes vertes chaleureuses. L’atmosphère est chaude, charnelle.
Cette fois c’est la bonne, tout est prêt, ils ne leur restent presqu’aucun vêtements, et sont arrivés au bout des questions destinées à les titiller. Fan et Léo lâchent tout, tous leurs sens en émoi. Le bruit, les odeurs remplissent la chambre, leurs corps et leurs bouches se touchent, leurs yeux se dévorent.
Loin des standards
Ben ne sait pas comment arrêter la scène, tout est si limpide. C’est Léo qui dit « on a fini, c’est bon ». Ben Névert vient de tourner son premier porno, et il sort de l’ordinaire. Loin du standard d’une fille ni belle, ni moche, qui se soumet à des pratiques sexuelles, pas toujours franchement respectueuses. Souvent mal cadré, mal monté, tourné avec des hommes qu’elles ne désirent pas ; face au porno pro-am (entre amateur et professionnel) ils ont voulu faire les choses bien.
Ils ? L’association de Ben Névert, youtubeur aux 500 000 abonnés qui prône une masculinité « déconstruite » et Dorcel, géant de l’industrie du porno qui entame un virage éthique. Pas facile, dans un monde ultra-connecté, où tout le monde a accès aux films pornographiques en un clic, sans presque jamais rien payer. Puisqu’il semble peu probable que la France interdise le porno, et que les utilisateurs arrêtent d’en regarder, pourquoi ne pas essayer de mettre en scène un désir sain ? Respecter les actrices et acteurs : checked. Impliquer des femmes à la caméra : checked. Imaginer un décor soigné, avec une qualité d’image et de son très agréable : checked aussi.
Cartographier l’imaginaire du moment
Avec le mouvement MeToo et les scandales révélés par la presse dans le domaine du porno, les changements se sont accélérés. Ici, pas question d’oublier le préservatif ou tous les tests des maladies sexuellement transmissibles. À bas les stimulants ! Impossible aussi d’envisager de se forcer, un « non » est possible à tout moment.
Pour pousser l’authenticité, Ben Névert va encore plus loin. Il imagine des questions intimes et excitantes pour un vrai couple, qui fait l’amour en plan séquence. On voit même l’aftersex parce qu’après tout, c’est aussi du sexe : prendre le temps de débriefer est nécessaire pour le réalisateur.
Pour autant, cette initiative est « la brindille qui cache la forêt“, selon Laurence Cohen, sénatrice et autrice d’un rapport sur l’industrie du porno. Ce porno féministe et éthique est une micro-niche, leurs réalisatrices n’en vivent pas. Et puis il ne séduit pas le public. Trop habitué à regarder des scènes extraordinaires, dégradantes voire violentes, il ne paie pas pour des films plus respectueux, qui ne l’excite pas forcément. Marc Dorcel et son fils, Grégory, eux-mêmes ont fermé les yeux de longues années sur les dérives de cette industrie.
Si le porno véhicule une image dégradante de la femme et instantanée du sexe, les jeunes (et moins jeunes) peuvent découvrir le sexe autrement avec des films comme celui de Ben Névert, même s’ils sont disponibles sur des plateformes mainstream. L’avocat Mathieu Cordelier, qui a rédigé une charte d’éthique pornographique, propose aussi que les actrices aient des agents ou agentes pour encadrer les détails administratifs, et les soutenir dans leurs envies et limites.
Capucine Leroy
Quelques chiffres sur le porno:
- Chaque visite sur un site pornographique, c’est neuf vidéos regardées en moyenne
- 75% des hommes et 20% des femmes de 18 à 35 ans disent consommer du porno au moins une fois par semaine
- Parmi les enfants de moins de 12 ans, 1 sur 3 a déjà été exposé à du porno
- 50% du visionnage sur Dorcel s’effectue en couple
Sources: Sondage Opinion Way 2018 et Grégory Dorcel
Hors caméras, la face méconnue de l’industrie pornographique
Internet facilite vraiment la vie. En quelques clics, on peut réserver ses vacances, faire ses courses, commander à manger et regarder du porno à volonté.
Les films X sont bien plus qu’un simple tournage, c’est une industrie où caméras éteintes, quelques personnes parmi les millions de consommateurs connaissent les coulisses. La réalité est bien plus triste et dramatique et elle se résume en 3 mots : viols-violences-proxénétisme. Face à la justice, les langues se délient, les voix s’élèvent et trahissent les sombres secrets enfouis dans les abysses de la pornographie.
L’étau se resserre lentement mais sûrement, « french-bukkake », un site produisant du contenu interdit aux moins de 18 ans, est rattrapé par la justice française pour les chefs d’accusation évoqués précédemment. Le réseau est difficile à démanteler, l’enquête est en cours depuis 2020 mais elle est fastidieuse. Cependant, elle permet de dévoiler les atrocités perpétrées sur des jeunes femmes, l’investigation est douloureuse mais nécessaire pour rendre ce milieu plus propre.
Bien loin de s’imaginer l’envers Du Décor, les addicts au porno sont gangrénés par les vidéos accessibles à tous. Pour autant, l’Etat met du temps à réagir, à bloquer et interdire l’accès aux multiples sites pour adultes. Une loi est entrée en vigueur en 2020 mais problème, en aucun cas elle ne restreint le visionnage puisque le fameux « j’ai 18 ans ou plus » apparaît encore comme une porte d’entrée pour les mineurs, désireux de regarder un ébat sexuel bien trop souvent forcé.
Thomas Lacressonnière
Vidéo: D’où vient la pornographie ?
Par Cassandre Lecomte