Les photos de Majid Behkarpisheh exposent un féminisme qui dépasse les frontières
Ce mercredi 8 mars 2023, journée internationale du droit des femmes, se déroulait le vernissage de l’exposition de l’artiste iranien Majid Behkarpisheh Les Mona Lisa iraniennes, dans la Maison de Quartier Wazemmes à Lille. Cette exposition photographique poignante transporte au-delà des frontières, au travers de visages Iraniens porteurs de messages.
Dans l’ambiance tranquille d’une petite salle de réception on peut observer les portraits photographiés en noir et blanc de jeunes Iraniennes et Iraniens. Leurs regards sont expressifs et leurs visages marqués. Ces jeunes gens, Majid les a rencontrés à travers l’Iran au cours de voyages. Son objectif, en réalisant ces clichés, est de faire porte-parole. Majid déclare avec espoir : « Peut-être que je peux être la voix du peuple iranien à travers mon art. »
Et c’est réussi : à travers ces visages on entend toute une histoire. Elle nous est transmise de manière touchante. Ces portraits offrent ainsi une représentation différente de celle transmise par les médias. En effet, si les images médiatisées peuvent être choquantes et poignantes, elles restent impersonnelles et informatives. Ici elles sont touchantes d’une tout autre manière.
La population que l’artiste nous montre subit des exactions depuis des années. D’autant plus depuis qu’elle s’est soulevée en septembre 2022, avec des manifestations qui continuent encore actuellement. C’est donc dans l’urgence de faire entendre son peuple que ses portraits sont diffusés. Cependant ce n’est pas dans l’urgence qu’ils ont été photographiés. Fruit de nombreuses rencontres à travers tout l’Iran, Majid a pris le temps d’entrer dans l’intimité de ses sujets. C’est seulement après avoir passé plusieurs jours dans le foyer de ses sujets qu’il les photographie. C’est ainsi qu’il a pu entrer réellement dans l’intimité des gens tout en les respectant entièrement. La relation qui se crée entre photographe et modèle permet à ces derniers de s’offrir authentiquement à la caméra. Le photographe n’est plus un étranger mais bel et bien quelqu’un de confiance. Ce lien authentique, on le ressent et on le voit. Le noir et blanc transmet une authenticité poignante, les mains, les regards et le cadrage rapproché des visages traduisent une relation intime qui s’offre aux visiteurs. Le choix du noir et blanc n’est pas hasard. Ayant débuté la photographie à l’argentique l’artiste y était plus habitué, mais il s’en sert principalement car il trouve l’usage du noir et blanc plus impactant par la profondeur qu’il transmet.
Les Mona Lisa iraniennes un titre évocateur
Ces visages emplis de mystère et d’histoires ont imposés d’eux-mêmes le titre de l’exposition : « J’ai choisi ce nom car on ne voit dans ces visages ni sourires, ni pleurs, ces visages sont les nôtres. » A la manière de La Joconde de Léonard de Vinci, qu’on ne voit ni triste ni heureuse, mais qui renvoie bel et bien une présence. On retrouve à la fois dans les photographies et dans La Joconde des regards qui vous suivent coûte que coûte comme pour marquer le spectateur et lui parler. L’utilisation d’une figure féminine majeure telle que Mona Lisa met en avant l’importance que Majid accorde à la cause féministe. Pour lui, « l’artiste est celui qui fait la critique de sa société ». La société qu’il critique est patriarcale. C’est la société iranienne mais pas seulement, revendiquer la liberté des êtres humains et la liberté des femmes à travers le monde lui est donc inévitable. Il évoque d’un air alarmé les 108 écoles de femmes attaquées récemment en Iran. La défense du droit des femmes lui est incontournable et se retrouve en conséquence dans nombre de ses travaux.
Son objectif ici est donc de « raconter l’oppression et l’injustice envers les femmes » dont il a pu témoigner dans son pays mais aussi en France. Cette lutte féministe se retrouve dans d’autres de ses œuvres. Également scénariste, comédien et photographe de plateau pour le théâtre et le cinéma iraniens avant son arrivée en France, Majid participe à la réalisation de la pièce Le silence confus d’une femme. La date du vernissage de l’exposition est d’autant plus impactante, faisant écho aux manifestations pour la liberté des Iraniennes et pour celle de toutes les femmes puisqu’il s’est déroulé lors de la journée internationale du droit des femmes. Un engagement central pour l’artiste qui finit son discours d’ouverture par le slogan des révoltes en Iran « Femmes Vie Liberté ».
Julie Berthelier
Pour plus de représentations dans l'art: portraits de femmes artistes engagées
Après avoir découvert le travail d’un artiste féministe, voici celui de trois femmes engagées s’étant battues pour se créer une place dans le monde de l’art. Elles ont toutes fait de leur art une arme militante. Par leur personne et leurs œuvres, elles offrent un nouvel espace de représentations de femmes allant au-delà des frontières et des normes patriarcales.
- Elizabeth Catlett Mora, sculptrice et peintre
Sculptrice est graveuse américano-mexicaine, c’est la première femme non-blanche diplômée des beaux-arts à l’université d’Iowa. Son art mélange abstrait et figuratif, est vecteur de messages politiques. Elizabeth aborde dans son art des problématiques liées à la race et au genre, la vie des femmes non blanches aux USA, mêlant des influences africaines et mexicaines à ses sculptures, lithographies, peintures et gravures. Descendante d’esclaves affranchi.e.s, son engagement est au fondement de son art. Elle s’emploie à combler le manque de représentations de femmes, par de nombreux portraits de célébrités afro-américaines.
« Mon art doit naître d’une nécessité pour mon peuple. Il doit répondre à une question, réveiller quelqu’un ou pousser dans la bonne direction – notre libération. »
- Vivian Maier, photographe
Dans les grandes oubliées de l’histoire de l’art, Lilian Maier en est un bel exemple. Elle est la confluence entre la photo américaine et française, les deux pays dont elle est originaire. C’est par un pur hasard que son travail est découvert : en 2009, John Maloof, agent immobilier, a découvert les clichés de Vivian accumulés dans de vieux cartons abandonnés à Chicago. 140 000 clichés qui placent enfin au grand jours la vie et le travail de cette femme solitaire. Vivian est décédée en 2007, et ce n’est qu’après sa mort que cet agent immobilier retrouvera la trace de la mystérieuse photographe. Elle n’a jamais publié ou exposé ses œuvres, mais aujourd’hui son nom est placé aux côtés des grand.e.s de la photographie. Elle a longtemps été nourrice, solitaire, militante dans la lutte féministe, des personnes noires et amérindiennes et des classes populaires. Son travail ne peut être résumé qu’à un unique genre photographique : elle explore le paysage, la street photography, le photojournalisme, le portrait.
- Kinuyo Tanaka, réalisatrice
Elle était pendant longtemps, avant tout et pour tout le monde, une grande actrice, celle du cinéaste Mizoguchi, son mentor avec qui elle tourna une quinzaine de fois. Mais en 2021, six longs métrages qu’elle a réalisés de 1953 à 1962 sont découverts. A une période où la réalisation au japon est réservée aux hommes (à part deux japonaises qui ont fait une poignée de films), ce changement de rôle, passant de devant à derrière la caméra, ne fut pas bien accueilli par l’industrie cinématographique japonaise masculine. Particulièrement par son mentor Mizoguchi qui tenta de mettre fin à la carrière de son actrice de prédilection. Pourtant, les longs métrages de Kinuyo Tanaka sont rarissimes et font de cette dernière une véritable pionnière du cinéma japonais. Entre mélodrame et comédie légère inattendue, le point de vue des personnages féminins y est presque à chaque fois privilégié.
Olivia Bagarry
La Maison de Quartier de Wazemmes, un lieu de vie ouvert à tous
La Maison de Quartier de Wazemmes est une association fondée en 1993. C’est un lieu de vie ouvert à tous qui propose des activités et de l’accompagnement de personnes de tout âge. Salariés, bénévoles, intervenants… la richesse de ce lieu se trouve dans ses participants. L’aspect humain est mis en avant, comme aujourd’hui le 8 mars où les femmes iraniennes sont au centre de la journée internationale des femmes.
Bahia Amallal