La lecture chez les jeunes : comment faire écran au numérique
Alors que le numérique est omniprésent, les bibliothèques lilloises organisent des ateliers autour de la lecture. Complétant le “quart d’heure lecture” instauré à l’école par le gouvernement en 2018, ces actions permettent de revaloriser la lecture auprès des jeunes et de limiter les répercussions de l’usage intensif des écrans.
Il est 16 h à la médiathèque de Fives, Ramana s’installe avec les enfants au coin lecture. Pendant 45 minutes, cette “médiatrice du livre” à l’association FILOFIL leur lit une sélection de livres variés et adaptés. Pendant ce “Temps des Histoires”, les jeunes auditeurs décrivent les illustrations, chantent des comptines, réagissent aux récits. Ils peuvent même choisir des livres dans les bacs à disposition. Le conte à voix haute est une des activités proposées par les bibliothèques municipales de Lille. Lectures, ateliers, rencontres avec les auteurs : l’objectif est de montrer aux enfants les différentes manières de raconter des histoires et ainsi leur donner le goût des livres. Varier les supports est aussi un moyen d’introduire la lecture comme une activité ludique et d’éveiller la curiosité des enfants. “Peu importe ce qu’on lit, l’important c’est de lire !“, affirme Aline*, bibliothécaire à Lille.
Le partenariat avec l’association FILOFIL, dont l’objectif est de sensibiliser les enfants à la lecture et à la culture dans différentes structures, montre cette volonté de dédiaboliser la lecture. “L’objectif est de créer un moment de partage : amener les parents et les enfants à assister à une lecture contée et développer chez les enfants une lecture active“, explique Ramana.
Si le coin lecture permet un moment d’évasion, il n’échappe pas totalement au quotidien. Les téléphones portables, eux aussi, assistent à la lecture : une jeune maman prend en photo son bébé, une autre vérifie ses mails, un petit garçon tente discrètement de s’emparer du téléphone qui dépasse de la poche de sa mère…
Les initiatives adoptées par la MEL ou localement dans les médiathèques doivent effectivement faire face à la popularité du numérique dès le plus jeune âge. “De plus en plus d’enfants passent leur journée sur les écrans. Face à une tablette, un livre n’a rien de séduisant…“, constate Aline. La bibliothécaire s’inquiète surtout de l’impact d’une posture passive face aux écrans. “Le numérique c’est très bien mais il ne faut pas que ça. L’enfant interagit mais il n’invente rien. Il n’a plus d’imagination.” La médiathèque propose un juste milieu en associant livre papier et animation sur tablette. Cette activité est appréciée du public mais soulève néanmoins une problématique : contrairement au numérique, les bibliothèques lilloises manquent de moyens pour remplacer les livres qui ont vécu.
Les livres face aux écrans
En effet, des études mesurent une utilisation importante du numérique chez les jeunes Français, notamment depuis les confinements de 2020. L’étude d’Ipsos pour le CNL (mars 2022) indique que “le temps consacré à la lecture est bien inférieur à celui passé sur les écrans. En moyenne, les jeunes lisent 3h14 par semaine, mais ils passent en moyenne 3h50 par jour devant un écran“.
L'importance des initiatives familiales
Outre les études statistiques, les témoignages de parents eux-mêmes nuancent l’efficacité de ce “quart d’heure lecture”. Ils reconnaissent les effets positifs d’un temps calme intégré à l’emploi du temps des enfants mais avouent ne pas voir de réel changement en termes de lecture. “Il est utile pour se remettre dans l’ambiance de travail mais le bénéfice ne va pas au-delà de 16h30. Mais c’est vrai que la lecture était déjà un rituel chez nous le soir”, souligne Léna, mère d’une petite fille en CM1.
La complémentarité de la lecture sur les temps scolaires et extrascolaires est en effet essentielle pour susciter le plaisir de lire dès le plus jeune âge. Les initiatives familiales comme emprunter des livres à la bibliothèque ou profiter des services de médiateurs permettent de cultiver une pratique régulière de la lecture et ainsi de prévenir une pratique abusive des écrans, non sans conséquences pour les jeunes.
Lauren Settepani
*son prénom a été modifié à sa demande afin de conserver l’anonymat.
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La Bibliomobile : un moyen de réduire les inégalités sociales
« Amener la lecture dans les quartiers prioritaires », tel est l’objectif de Loredana Acquaviva, présidente de l’association Pépita, avec son projet de Bibliomobile. Basée à Villepinte dans la région Parisienne, cette bibliothèque sur roues déambule dans les quartiers prioritaires pour donner aux habitants, petits et grands, la possibilité de lire. Les livres proposés sont prêtés par des bibliothèques alentour, mais proviennent aussi de dons de particuliers et même de comédiens comme Pierre Santini.
« C’est un autre biais pour ouvrir les portes de la culture », rajoute Loredana. En proposant des livres de tous genres littéraires, la Bibliomobile permet aux classes défavorisées de s’ouvrir au monde, pouvant participer à la réduction de certaines inégalités scolaires et sociales. En effet, des sociologues comme Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron* montrent que l’École valorise la culture légitime, c’est-à-dire l’ensemble de dispositions, pratiques et valeurs qui émane des classes supérieures, et qui se transmet par la socialisation primaire**. Les enfants issus de ces classes sociales se trouvent alors favorisés dans le système scolaire, renforçant les inégalités.
Ainsi, faciliter l’accès aux livres pour les personnes défavorisées, plus éloignées de cette culture légitime, permet d’enrichir leur langage et leur vocabulaire, leur donnant confiance en eux. « Notre initiative permet à certains enfants de se lancer dans de beaux projets scolaires. Pour nous c’est 100% de réussite », se réjouit la présidente de l’association.
Juliette Tissier
*dans Les héritiers paru en 1964
** Modelage social de l’individu qui survient durant l’enfance
Professeur de CE2-CM1 à l’école primaire d’Aix-Noulette, monsieur Persyn nous raconte comment il a mis en place dans sa classe une initiative nationale: le quart d’heure lecture.
Une vidéo réalisée par Audrey Royer